Qui, parmi nous, n’a jamais entendu cette phrase, sortie de nulle part, comme quoi la parentalité ne serait que du bonheur ?
Qui, parmi nous ne s’est jamais demandé s’il était normal de ne pas ressentir que des sentiments heureux en devenant parent, mais au contraire, de la lassitude, de l’angoisse, de la tristesse ou même de la colère ?
Qui, parmi nous, n’a pas rêvé sa paternité ou sa maternité, s’imaginant transmettre à ses enfants le suc de la foi, l’amour de la nature ou que sais-je, la sagesse de nos Anciens ?
Qui, parmi nous, n’a pas regardé avec envie une femme enceinte entourée de sa marmaille, marchant dans la rue, en se disant qu’elle a de la chance ?
Qui, parmi nous, a déjà imaginé avant de le vivre, qu’être parent, ce pouvait être difficile ?
Les réseaux et les médias nous inondent de mauvaises nouvelles autour du covid, et voilà que depuis deux ans il nous pourrit littéralement la vie. En tant que parent, jamais nous n’aurions cru devoir faire tester nos enfants tous les quatre matins, dans la panique, en espérant que tout soit négatif pour que la vie reste à peu près normale.
Notre enfance, nous l’avons vécue sur fond de liberté, avec nos copains, nos frères et sœurs. Nous organisions des goûters d’anniversaire, nous nous invitions. Nos jeux n’avaient aucune fin. Les saisons ponctuaient nos existences, et l’insouciance était bien réelle.
Aujourd’hui, il est presque aussi difficile d’être enfant que d’être parent.
Outre cette parenthèse sur ce maudit virus qui bouleverse beaucoup trop nos vies, cette phrase, « c’est que du bonheur », je l’entends de moins en moins autour de moi, au fur et à mesure que j’ai des enfants et qu’ils grandissent.
Pour dire la vérité, j’ai plutôt le sentiment d’un tunnel, bien noir, bien nauséabond, un brin glauque. Des journées rythmées par les siestes des tout petits. Un hiver qui n’en finit pas avec ses virus toujours plus nombreux. La vérité, c’est que je sature. Je sature de changer des couches débordantes, d’essuyer des nez morveux, de ramasser des jouets, de préparer des repas qui n’ont aucun succès, de faire des lessives, de sortir toute ma marmaille dans le froid à 8h du matin pour aller à l’école, et de m’entendre dire que j’ai choisi cette vie. De surcroît, enceinte de presque huit mois, ma mobilité est réduite, mon état physique me fait paniquer quand je vois arriver la naissance de mon bébé (car je suis dans un tel épuisement que j’ai du mal à voir comment je peux ajouter un enfantement et l’accueil d’un nourrisson au reste). Pour couronner le tout, je suis malade, ce qui signifie pour une femme enceinte qu’au lieu de l’être pendant quelques jours, cela dure depuis deux semaines, parce que « vous comprenez madame, vu votre état, vous n’avez pas le droit de prendre de médicaments. » Sans compter que de jours d’arrêts, je n’en ai point. Mon petit mari malade peut poser un jour et rester au lit, mais moi… à moins de le solliciter, je ne peux que caser quelques siestes par-ci par-là, espérant que cela suffira à guérir mes pauvres sinus inflammés.
Bizarrement, ce tableau de la femme enceinte entourée de ses marmots est bien différent de ce côté de la scène : la réalité est que j’envie la vie d’autres comme d’autres envient la mienne.
Alors certains soirs, ma plainte, ma colère monte au ciel, non pas comme l’encens, si parfumé, mais comme le feu de l’incendie, dont la fumée noire fait de grosses traces. Je me sens révoltée de douiller autant. Je ne comprends pas pourquoi être parent est si crucifiant. Que ce soit face à mon enfant qui se réveille plusieurs fois par nuit, face à celui qui s’oppose et que je prends pour un enfant colérique, que ce soit face à ma maison qui ressemble à un véritable chantier, à ce que je mange (de la malbouffe plus qu’autre chose…), face à la fatigue toujours présente, je me demande comment le Dieu Amour permet-il cela. Cela, ce ne sont pas les contrariétés de la vie parentale. Cela, c’est la fatigue. L’épuisement. Le sentiment d’échec qui t’envahit quand ton enfant malade refuse de prendre ce médicament ou de manger cette purée mousseline dans laquelle tu avais mis tant d’espoir. La sensation d’être profondément nulle en voyant l’état de ton appartement, digne d’un champ de bataille, alors que tu as le sentiment de passer ta vie à ranger et à nettoyer. Sentiment de nullité parce que tu touches irrévocablement à tes limites de parent, lui-même blessé par la vie, et peut-être furieux de voir justement ces limites.
Rien ne va jamais, la solitude est chaque jour plus grande, les réveils de plus en plus durs, et l’envie de tout plaquer de plus en plus récurrente. Quand quelqu’un autour de toi t’annonce l’arrivée d’un enfant, tu souris, mais au fond, tu as envie de dire « bon courage ».
Pourtant… Pourtant, tu le fais. En te posant plus ou moins de questions, oui. Mais tu le fais. Tu traverses chaque jour comme si c’était le dernier, espérant être à peu près debout à la fin de la journée. Tu puises l’énergie là où tu peux, dans le sommeil, la prière, cinq minutes pour toi, bien sûr, c’est du grapillage, mais tu fais comme tu peux, de ton mieux. Tes enfants ont à manger, à boire, ils jouent, dorment, et sont aimés profondément. Il t’arrive d’avoir des instants de recul et de les admirer, d’être fière d’eux, de voir même ce qu’ils t’apportent. Ces moments remplissent un peu ton réservoir. Tu réalises que les souvenirs que tu gardes sont plutôt bons d’une année sur l’autre, même si ce sentiment de tunnel reste bien présent.
Donc non, être parent, ce n’est pas « que du bonheur ». C’est aussi dur qu’heureux. C’est aussi éprouvant qu’exaltant. C’est aussi fatiguant qu’énergisant.
Cependant, je remplacerais bien cette phrase si peu juste par celle-ci, qui nous vient de ma petite sainte préférée, Sainte Thérèse de l’enfant Jésus : « Tout est grâce ».
Car oui, tout est grâce. Tu peux offrir cette journée (semaine, mois) pourrie pour une cause autre que la tienne. Tu peux sanctifier cette couche sale qui fut si pénible à changer. Tu peux habiter autrement cette salle des urgences de l’hôpital. Tu peux cuisiner, ranger, laver, nettoyer différemment. Tu reçois, en devenant parent, une grâce d’état. Celle qui te fera aller bien plus loin que tu ne le penses.
Et un jour, tu te réveilleras, tes enfants auront quitté le nid. Qui sait ce que te réserve ce nouvel âge de la vie ? Celui où tu verras tout le travail accompli, dans le silence, dans l’ombre, pour voir tes enfants devenus adultes, autonomes, libres ?
Merci mon Dieu, pour cette grâce d’état. Dans le mariage, je l’expérimente. Dans ma maternité ou ma paternité, je la vis aussi, sûrement sans m’en rendre compte. Je ne la palpe pas. J’ai le sentiment d’être toujours au bout du rouleau. Alors ce que je fais, en ce mois de janvier, c’est que je m’assois sur toutes les bonnes résolutions que j’aurais pu prendre, et j’en choisis une : vivre l’instant présent. Vivre chaque jour, l’un après l’autre, et le finir par une parole de bénédiction. Car là où la Vie passe, le bonheur passe.
Le courage au quotidien est sans doute moins éclatant mais plus grand, merci pour ce témoignage sans ambages.
Merci pour ce magnifique état des lieux... C'est si vrai... Tant d'ingratitude dans nos tâches quotidiennes mais tellement d'amour en échange. Tant de difficultés et de désespoir parfois mais tellement de bonheur en compensation. Gardons nos regards rivés vers le Ciel et soyons confiants que notre labeur portera du fruit en son temps.