« Mais on n’est pas au Moyen Age ! » A cette accusation, on doit se taire. L’assimilation à une période sombre, arriérée, terrible, où les malheureux se trainaient dans la boue, tachant de survivre entre la Peste Noire et les razzias de grands seigneurs avides d’impôts et de pures jeunes paysannes, ne peut être qu’un argument de poids. Le Moyen Age… Cette expression qui se voulait représentative d’une période vide et inintéressante qui fait la transition entre la riche Antiquité et la belle Renaissance, n’a pourtant aucun sens. Mettre sous une seule expression les mille ans extrêmement riches qui séparent la chute de l’Empire Romain d’Occident en 476 et la chute de l’Empire Romain d’Orient en 1453, revient à mettre dans une seule même période historique des évènements aussi disparates et intéressants que la création des empires francs, la construction de la société féodale, l’empire de Charlemagne, les architectures romane, castrale, gothique, la naissance de la France, l'explosion de l'art sacré… 1000 ans d’histoire résumé en une unique et péjorative expression!
Au-delà de l’aspect politique, le Moyen Age, malgré les travaux de Jacques Heers et Régine Pernoud, reste une période honnie des féministes et humanistes, comme celle où la femme n’était rien. Mais alors que la Renaissance a voulu remettre la femme au rang de la ravissante muse qui doit rester muette, rang dont elle mettra plusieurs siècles à se sortir, au fur et à mesure de la période médiévale la femme est sortie de son rang antique et est plutôt vue à l’image de la Sainte Vierge, inspirant le respect. Les femmes peuvent être chef d’entreprises, chef de famille, écrivain, modèle de culture et d’éducation à la cour. Et l’une des femmes les plus connues du Moyen Age renvoie aux oubliettes cette image d’une femme médiévale arriérée et méprisée. Cette femme, née en Italie, fera briller en Europe la jeune langue française. Cette femme s’appelle Christine de Pizan.
En 1368, Thomas de Pisan, conférencier à l’université de Bologne et astrologue réputé, est appelé à la cour de Charles V, fort d’une réputation de sage conseiller. Thomas installe donc sa famille dans le florissant Paris du XIVème siècle, sa femme et sa petite Christine, née à Venise cinq ans plus tôt.
Jeune fille à la cour de France
Christine a hérité de son père son goût pour les études, sa soif de connaissances. Elle reçoit à la cour de France l’éducation donnée aux jeunes filles de la noblesse et commence à composer des pièces lyriques qui lui valent l’admiration et même de nombreuses demandes en mariage. Avant ses 16 ans, son père lui choisit un mari, Étienne Castel, homme savant et vertueux de Picardie, et notaire du roi. Trois enfants naquirent de cette union qui, quoiqu’arrangée, fut très heureuse.
Veuve
Fin 1390, Etienne Castel qui suivait le roi meurt d’une épidémie à Beauvais. Christine, qui a alors vingt-six ans, se retrouve veuve, avec trois enfants, une mère et une nièce à charge. Comment élever les siens ? Le protecteur de la famille, Charles V, est mort depuis dix ans déjà.
Alors, les vers que Christine écrivait pour son plaisir lors de ses temps libres, désormais seront le support du pain de ses enfants. Courageusement, avec indépendance, Christine qui est encore jeune ne recherche pas un nouveau mari, mais choisit de vivre de sa plume. Elle tente de faire face aux procès, aux dettes, à une situation matérielle complexe, et sans soutien. Elle fait hommage de ses vers aux nobles protecteurs qui entretiennent les poètes, mais s’intéresse également à la philosophie, aux sciences, à l’histoire. Elle obtient des commandes et la protection de puissants comme Jean de Berry et le duc Louis Ier d’Orléans.
Femme de lettres
Christine réorganise sa vie, ses nuits consacrées à l’étude et à l’écriture, ses journées au travail et au soin de son foyer. Elle commence à écrire ballades et rondeaux, et les présente au Duc de Bourgogne qui en retour prend à son service un fils de Christine. Elle ouvre bientôt son répertoire à de nombreux sujets, surtout l’histoire et la philosophie. Bientôt elle obtient de nombreuses commandes qui lui permettent de vivre confortablement, et se consacre à la rédaction d’écrits érudits philosophiques, politiques, moraux et même militaires.
Le souvenir de Charles V Le Sage
En 1403, le duc de Bourgogne, convaincu du talent de Christine, lui réclame une vie de Charles V, père du pauvre roi Charles VI. Forte de ses propres souvenirs, Christine se met à l’œuvre. On lui ouvre les archives, les dépôts de chroniques, les universités, et plusieurs grands personnages du royaume acceptent de lui parler du défunt roi. Christine ne cache pas son admiration pour l’ancien ami de son père, et veut faire montre d’une histoire vivante, qui fait vibrer.
En moins d’un an, elle publie le Livre des faits et bonnes mœurs du sage roi Charles V, qui reste aujourd’hui l’une des premières sources à la disposition des historiens concernant ce règne. Christine devient bientôt l’une des femmes les plus connues de la cour, soutenue par une importante production littéraire. De 1399 à 1418, elle produit une œuvre considérable, en prose et en vers, qui fait d’elle un auteur connu en France comme en Europe.
Grande détresse au royaume de France
A la mort du roi Charles VI, la France, en pleine Guerre de Cent Ans, subit une importante crise politique, l’inique Traité de Troyes dépossède le dauphin Charles de la couronne de France et veut l’unir à la couronne d’Angleterre. Les français se divisent entre Armagnacs, lié au duc d’Orléans, et Bourguignons, qui s’allient aux Anglais. En 1418 Christine prend fait et cause pour le jeune Charles, en hommage à son grand-père Charles V, et doit se réfugier dans un couvent. Lorsqu’elle entend parler d’une jeune Lorraine venue soutenir Charles VII à Bourges, elle lui apporte un soutien inconditionnel et rédige en son honneur et avec enthousiasme le Ditié de Jeanne d'Arc en 1429.
Christine de Pizan meurt vers 1430 dans le couvent qui lui servait de refuge, célébrée par toute l’Europe. Son fils devient chroniqueur du roi Louis XI, encore auréolé de la gloire littéraire de sa mère.
Pourquoi chercher cette femme ? Alors que sa situation paraissait désespérée, Christine a voulu faire fructifier les talents que le Bon Dieu lui avait donnés pour faire vivre sa famille. Elle a travaillé, ne s’est pas reposée sur son quotidien, a diversifié ses travaux, jusqu’à être publiquement reconnue pour son œuvre. Ce qu’elle avait à faire, elle l’a fait de son mieux, autant qu’elle le pouvait, avec les outils qu’elle avait reçus du Ciel, chaque jour que Dieu lui avait confié.
Source : Les Femmes Illustres de la France, Oscar Havard, Alfred Mame, Tours, 1856.
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