Le mois dernier, Priscille Roquebert nous a envoyé son livre, Du poison au pardon, paru en septembre 2020 aux éditions du Sacré-Cœur. Et j’ai accepté de vous en faire une petite présentation toute personnelle – qu’est-ce que cette lecture évoque en moi… ?
Dans ce livre qui mêle étroitement témoignage et journal intime, Priscille raconte son enfance et sa jeunesse, marquées au fer rouge par une relation empoisonnante avec son propre père. Car ce père a connu assez jeune une dépression dont il a atténué pour lui les effets en se tournant vers l’alcool, sombrant peu à peu dans une spirale de violence et de destruction, le touchant lui, tout autant que ses proches.
Les effets de ces maladies du père sur sa fille sont ce « poison » qui envahit tout. Mais la puissance de vie jaillit chez celle qui aborde alors l’âge de l’adolescence : « Je veux vivre ! »
Un jour que j’abordais avec un prêtre le sujet de la souffrance qui anéantit et détruit l’être humain, il me dit : « Regardez la force de la vie. Regardez la petite plante verte qui arrive, pour recevoir la lumière du soleil et l’eau de la pluie, à percer même le plus dur morceau de roche ! »
Cela m’a marquée. Effectivement, les plantes ont une force intérieure parfois insoupçonnable. Et nous, êtres humains dotés du si délicat cadeau de la vie, combien avons-nous, nous aussi, une telle force intérieure, si précieuse aux jours des grandes épreuves !
On peut légitimement se questionner alors : Du poison au pardon. Comment l’auteur a-t-elle pu cheminer, avancer, trouver cette force de vie, au cœur de la noirceur, pour pardonner ?
Car la question ici n’est pas le « Pourquoi ? Pourquoi tout ce poison ? » Ce questionnement serait stérile. Mais c’est le « Comment ? Comment vivre, avec ce qui est ? »
Et ces questionnements rejoignent tant de personnes.
Si certains sur terre vont jusqu’à vivre des détails horribles, nous passons tous, à un moment ou à un autre, par des étapes, dans le cheminement de la conquête de notre liberté intérieure. Par ces bribes de vie offertes au lecteur, Priscille peut témoigner d’un chemin possible pour vivre cet apprentissage de la liberté, dans un contexte difficile et si peu porteur.
J’ai ouvert ce livre, avec le pressentiment que j’allais lire quelque chose de dur, mais que j’allais également y trouver un témoignage d’espérance. La préface alors a appuyé cette impression : « Au fil des pages, ses mots vous glacent le sang », écrit Laurent Gay.
Effectivement, ce témoignage est poignant, « ses mots vous glacent le sang ». C’est peut-être aussi mon regard d’éducatrice qui est particulièrement interpellé. Dès le premier chapitre, « la joie des premières années », mes sourcils se froncent. Comment voir la joie là où moi je vois des enfants qui déjà sont emportés dans un processus de destruction fondamentale – destruction des racines mêmes de leur personnalité – au contact d’un père autoritaire, et d’une mère que l’on dirait effacée ? Avec les pages qui se tournent, on découvre une souffrance toujours plus lourde, toujours plus terrible.
Les pages et les années passent. C’est l’horreur. Après la dépression et l’alcoolisme déjà si destructeurs pour tous, le père sombre dans la maladie psychiatrique.
C’est une chose d’avoir un proche dépressif, à qui l’on peut tenter de parler, de faire partager un bon moment, que l’on peut inviter à sortir pour quelques instants… C’en est une autre de vivre avec ce proche jour et nuit. C’est une chose de savoir que tel proche est alcoolique ; c’en est une autre de vivre avec ce proche jour et nuit, de sentir ses odeurs, nettoyer ses traces, subir ses violences… C’est une chose de connaître un proche atteint de maladie psychiatrique ; c’en est une autre de vivre avec ce proche, jour et nuit, de le voir sombrer dans la folie…
Et quand ce proche est son propre père, comment l’enfant peut-il se construire ? Quand les seuls moments de répit sont ceux où le père est au poste de police ou à l’hôpital ?
« J’ai quatorze ans et je le hais. (…) Je suis en prison sous les ordres d’un homme qui me détruit un peu plus tous les jours. (…) Je suis sa domestique, son esclave et il est notre tortionnaire. »
Priscille Roquebert ne cache pas la réalité de ce qu’elle a pu vivre, et certaines pages sont dures à lire.
« Ma chère Clotilde,
Si j’écris ce témoignage, c’est parce que c’est toi qui as fait naître en moi le désir de partager mon histoire. (…) Ton histoire m’a rappelé la mienne à la différence que je peux aujourd’hui te parler de l’espérance, de la force du pardon, de la puissance de l’amour humain et de ton héritage du ciel ! »
Ce livre est un témoignage, le témoignage d’une jeune femme qui porte un regard sur son enfance, son adolescence et les débuts de sa vie d’adulte, sans aucune complaisance. Un témoignage offert à tous ceux qui vivent dans une famille déchirée, qui ont peur, qui ont soif d’aimer et d’être aimés, qui se débattent dans un monde qui ne leur donne pas beaucoup d’espérance.
On y apprend combien Dieu est patient. Il a tout son temps ! Progressivement, Priscille ne présente plus le pardon comme un devoir à remplir. Non, elle expérimente la patience de Dieu-Père, qui la laisse libre de choisir ou non de pardonner, et qui lui en laisse le temps.
Dès lors, il ne s’agit plus pour elle de se forcer à pardonner, mais de prier pour en avoir l’envie, le désir. Et un jour, le pardon devient une décision. Et on comprend que ce chemin choisi est un chemin de toute une vie.
On y voit une enfant qui n’a pas eu de père aimant ignorer d’abord l’idée d’un Dieu-Père, puis la rejeter, pour progressivement découvrir cette paternité en Dieu.
On y voit aussi un homme cheminer. Car si Priscille écrit avec son regard de petite fille puis d’adolescente et d’adulte, elle laisse transparaître, peut-être à son insu, des bribes du regard de son papa aussi. Et c’est d’une autre espérance qu’elle se fait le témoin : on voit combien l’homme peut changer, se convertir, se retourner. C’est peut-être presque imperceptible ici, mais c’est déjà un signe d’espérance pour ceux qui l’aiment.
On y voit une adolescente qui a tout pour se faire avoir et vivre de nouvelles souffrances. A 18 ans, sa construction personnelle est une ébauche incertaine ; elle ne sait en quelle direction se tourner. Elle n’a appris qu’à survivre.
Mais elle parle de résilience, cette aptitude d’une personne à se construire et à vivre de manière satisfaisante en dépit de circonstances traumatiques.
Et je retrouve la plante verte qui a réussi à percer l’asphalte et qui peut s’épanouir sur les ruines-mêmes de son enfance et de sa jeunesse.
« Observez les lis des champs, comme ils poussent : ils ne peinent ni ne filent. (…) Que si Dieu habille de la sorte l’herbe des champs, qui est aujourd’hui et demain sera jetée au four, ne fera-t-il pas bien plus pour vous, gens de peu de foi ! » (Matthieu 6, 28-30)
On peut penser que cette force vient de Dieu. Ne serait-ce pas cela, la grâce de Dieu ?
« J’ai découvert que l’Amour du Christ ne guérit pas les blessures et les peines d’un coup de baguette magique. Néanmoins pas une seule seconde Il ne m’a laissée seule, son amour ne me fait pas défaut. Il m’a donné le courage et la patience pour avancer sans me décourager. Jésus s’est laissé trouvé parce que je l’ai cherché. Il a ravivé mon cœur dans le doute. Il m’a affirmé que j’étais déjà assurée de ma liberté de fille de Dieu. » Du poison au pardon
« La grâce est la faveur, le secours gratuit que Dieu nous donne pour répondre à son appel : devenir enfant de Dieu » CEC, §1996
Peut-être ce livre est-il un témoignage de ce que la grâce de Dieu fait dans une vie, un signe de la présence de Dieu même au cœur de la souffrance humaine – si terrible.
Dieu nous a créés, Il a fait jaillir notre vie au sein de la Création. Et Il intervient dans nos vies par les circonstances de la vie, les rencontres, une lecture, un film !
On voit ici une jeune personne qui sait qu’elle doit faire le ménage dans sa vie pour ensuite avancer librement, une jeune fille qui a le courage de ne pas se voiler la face et qui se donne les moyens de conquérir sa liberté. On voit une jeune femme qui a l’humilité de demander une aide extérieure pour sortir des schémas et de l’héritage reçu, si lourd de conséquences. Car la grâce de Dieu n’est pas une baguette magique ; et pour pouvoir s’ouvrir pleinement à la vie, des professionnels peuvent porter un soin particulier à la part psychologique. Et on lit dans ce témoignage combien ce chemin est long, rude, mais possible.
« Ce témoignage est une bombe de miséricorde dans ce monde de discorde », écrit Laurent Gay.
Vous pouvez trouver le livre de Priscille Roquebert, Du poison au pardon, dans toute librairie, ou le commander en ligne.
Vous pouvez suivre Priscille Roquebert sur son compte instagram : priscille_roquebert
Merci Marie.D pour ces échanges et pour le bel article sur mon livre! Priscille