Anne et Marine nous confient dans cet entretien leurs réflexions sur ce sujet passionnant et nous présentent le projet qu'elles portent.
Bonjour Anne, bonjour Marine, vous avez le projet d'ouvrir une maison d'accueil pour femmes enceintes seules, pouvez-vous tout d'abord vous présenter ?
Anne : Nous sommes toutes les deux éducatrices spécialisées depuis de nombreuses années. Nous avons travaillé séparément dans la protection de l'enfance puis ensemble dans une maison d'accueil pour femmes enceintes seules, où Marine était directrice et moi, Anne, éducatrice, pendant 7 ans. C'est sur cette expérience, que nous avons vécue ensemble, que nous nous appuyons pour déployer un nouveau projet.
Pour commencer, je voudrais vous demander : pourquoi cette nécessité, selon vous, d'apporter de l'aide aux femmes enceintes seules ?
Marine : Une femme enceinte, dans l'idéal, n'est pas seule. Mais nous vivons dans une société où la contraception entraîne une croyance selon laquelle on serait immunisés contre la grossesse et par laquelle on considère que l'on peut avoir un enfant quand on veut, comme on veut, en maîtrisant tout. Mais, alors, lorsqu’un enfant imprévu arrive, particulièrement sous contraception, rien n'est pensé en amont pour une telle situation et si le couple n'est pas préparé, très souvent la femme se retrouve seule. C'est cette solitude qui crée cette nécessité.
Anne : De plus, il me semble que nous sommes dans un contexte où le couple est devenu une notion assez précaire, fragile, parce que le critère de décision devient souvent l'émotion et non la volonté de durer, de construire. Cette fragilité entraîne de grandes attentes : la notion de couple est volatile donc il est essentiel de maîtriser sa fertilité, de contrôler, de maîtriser tout ce qui va se passer, en particulier par la contraception mais également par la façon dont on va organiser les événements les uns après les autres, sans avoir abordé certains sujets, comme l'arrivée d'un enfant. Ainsi, quand il y a quelque chose qui ne se déroule pas comme prévu, la fragilité du couple peut ressortir à ce moment-là, créant des situations de soudaine solitude. Or, la question de l'accueil d'un enfant non désiré n'est pas une question qui concerne seulement la femme, mais bien toute la société, à commencer bien sûr par le père. Cette solitude est d'autant plus grande parce que la souffrance engendrée est taboue et souvent complètement occultée. D’autre part, il y a cette croyance que si j'ai fait le choix de garder mon enfant malgré un contexte de solitude, je n'ai pas à m'en plaindre, je dois assumer et je ne suis donc pas légitime pour demander de l'aide. Il y a aussi tout le discours de dédramatisation, de banalisation de l'avortement qui ne permet pas aux femmes d'exprimer leur souffrance et qui les empêche même parfois de pouvoir se poser la question d'une alternative.
Marine : Il faut aussi dire que l'enjeu de la solitude ne se réduit pas au moment de la naissance. Il y a tout l'après de l'accueil de cet enfant. S'il arrive dans des conditions difficiles, la mère a d'autant plus besoin d'être entourée pour accueillir et aimer cet enfant. N'importe quelle femme sait, quand elle l'a vécu, que les périodes de la grossesse, du post-partum et des premiers mois de l'enfant sont des périodes de grande vulnérabilité, de grande fatigue, de changements émotionnels profonds, de remaniements psychiques. Même quand l'enfant est attendu, il y a ce besoin d'être entourée d'affection. Le moment de l'accouchement est un moment proche de la vie et de la mort, un moment où des choses très fortes se jouent. Quand on n'est pas seule, on sait déjà que c'est une période cruciale mais alors être seule avec ça, ça peut être très violent. Il y a donc quelque chose à proposer en termes de présence.
Anne : Dans toutes les sociétés traditionnelles, la femme enceinte n'était jamais seule. Elle faisait partie d'une cellule familiale bien plus élargie qu'aujourd'hui. Toute la période liée à l'accouchement était une période d'intense étayement familial. Il n'y avait pas une femme seule qui portait cet événement-là et cette vie qui arrivait. On appelait le moment après l'accouchement les « relevailles », période où toutes les femmes de l'entourage prenaient le relais pour les tâches de la vie domestique, en se rendant également complètement présentes à la jeune accouchée. Ces rituels témoignaient de la conscience collective du besoin de présence pour cette période très particulière. Aujourd'hui dans notre société, paradoxalement, le fait d'être mère est hyper valorisé. Cela doit être, du coup, forcément merveilleux, idyllique, naturel. Mais beaucoup de mères font l'expérience que non, ce n'est pas juste épanouissant ; c'est aussi un énorme travail, un travail intérieur : ça secoue, ça rabote, ça bouleverse, ça produit des étincelles, ce ne sont pas juste des émotions positives. Donc l'idée, c'est non seulement d'accompagner la femme pendant sa grossesse et son post-partum mais c'est aussi de pouvoir l'accompagner dans le fait de devenir mère, qui n'est pas quelque chose de si évident.
Pouvez-vous nous dire quels sont les besoins d'une femme enceinte seule ?
Marine : Premièrement, se remettre de son choc face à la découverte de cette grossesse imprévue. Avoir du temps pour réfléchir. Accueillir le chamboulement. Être écoutée dans tout ce qu'elle ressent. Étudier la situation, se projeter, faire le point sur le couple, sur la question du père. Il y a aussi ce besoin capital d'être informée, de savoir, par exemple, qu'il y a des aides matérielles qui existent, des aides conséquentes : toute femme enceinte en France, même mineure, a le droit au RSA quand elle n'a pas de ressources. Les aides de l'Etat à partir du 4ème mois de grossesse existent, et il y a donc moyen de s'en sortir déjà au niveau matériel et financier. Savoir aussi que quand on est seule avec un bébé, on est prioritaire dans beaucoup de démarches, comme par exemple pour trouver un logement social. La question matérielle est bien souvent une source d'angoisse, il faut donc rassurer en informant. Il y a aussi ce besoin d'être informée sur la réalité de l'IVG, de comment cela se déroule. Souvent, les femmes qui ont avorté confient qu'on ne leur avait pas montré explicitement le bébé, à l'échographie de datation; on ne fait pas entendre le cœur, on ne les prévient pas forcément des douleurs engendrées par l'intervention.
Anne : La femme enceinte seule a besoin de prendre du recul, parfois par rapport à la famille, parce que ce n'est pas forcément le lieu où elle sera le mieux écoutée. Il est alors nécessaire de revenir à l'intérieur de soi, de se dégager des pressions extérieures s'il y en a, d'avoir ce temps d'écoute où l'on peut dire tout ce qui nous passe par la tête et où on arrive petit à petit à considérer : qu'est-ce que je veux au fond de moi ?
Que nous apprennent ces femmes qui quittent tout pour mettre au monde un enfant qui n'était pas prévu dans leur vie ?
Marine : Qu'on ne peut pas tout maîtriser dans la vie et que parfois aller vers l'inconnu porte du fruit !
Anne : On a constaté souvent, dans l'écoute et l'accompagnement des femmes qui font ce choix, que l'acceptation de la grossesse, de l'enfant à venir, peut devenir un moteur qui va leur donner une énergie pour construire, aller de l'avant. C'est très fort de voir ça. Quelle que soit la solution qu'elles ont choisie (intégrer une maison d'accueil, rester dans leur famille ou seules), cela devient souvent un bouleversement positif et nous avons vu que lorsqu'un accompagnement solide est proposé, cette énergie va pouvoir se déployer et porter du fruit dans plein de domaines de leur vie. Si cette force-là est accompagnée, elle peut être moteur de transformation.
Marine : Il y a une ligne de mire avec cet enfant qui va naître et qui va grandir. Cela aide à former des projets. Cela aide à se tourner vers le futur en étant pleinement au présent. Quand le choix est posé, il y a une volonté d'imaginer un futur positif car il est appréhendé pour cet enfant. C'est pour cela qu'il est très important de proposer un accompagnement proche, chaleureux, pour les protéger de la peur d'être incompétentes, pour soulager la fatigue, la vulnérabilité, la peur de l'inconnu. Cette force qui résulte du choix est là par elle-même mais elle peut s'émousser après la naissance. Le fait d'être entourée repose, apaise, et ce mouvement en avant peut alors porter du fruit et ne pas s'éteindre. Plus largement, il est donc capital d'être attentifs, dans nos entourages, aux femmes enceintes, quelle que soit leur situation car la force côtoie la vulnérabilité.
Après ce constat essentiel, pouvez-vous nous présenter en détails votre projet ?
Anne : Nous avons le projet d'ouvrir une maison d'accueil pour des femmes enceintes seules qui sont confrontées à une grossesse imprévue ou dans des conditions qui leur semblent difficiles. Ces femmes demandent à être accueillies et accompagnées pendant leur grossesse pour préparer l'arrivée de leur enfant. Elles demandent également de vivre une vie avec d'autres, au quotidien. En effet, dans cette maison, il y aura cet aspect de "vie ensemble" qui est un socle pour nous dans l'accompagnement, socle de reconstruction, d'apprentissage et de croissance.
Marine : Cet accueil ne s’inscrira pas dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance et il n'y aura pas de nécessaire condition de précarité. Cet accueil peut très bien s'adresser à des femmes insérées, qui travaillent mais qui se sentent en détresse face à ce bébé.
Anne : Ces femmes viennent volontairement et elles peuvent rester dans cette maison le temps dont elles ont besoin dans la limite des 3 ans de l'enfant. C'est un temps potentiellement assez long pour leur permettre à la fois d'accueillir leur enfant sereinement, sans être pressées par une date butoir et à la fois de faire des projets pour elles, de se poser des questions sur ce qu'elles aiment, ce qui leur plaît, ce qu'elles pourraient développer. Certaines peuvent reprendre des études, passer leur permis, chercher un travail, construire leur vie sociale et professionnelle. D'un point de vue plus intérieur, avoir ce temps pour faire l'expérience d'une vie avec d'autres permet de créer des relations de qualité, pas forcément lisses, ni sans heurts, mais où l'on va s’efforcer d'aller vers l'autre et de transformer les moments de désaccords et de conflits en moments de croissance.
Marine : La vie ensemble que nous proposons est bien sûr entre les mamans mais aussi avec l'équipe d'éducatrices, qui vit sur place, qui est salariée, qui a des temps de repos évidemment mais qui habite vraiment à la maison avec les mamans. Dans cette maison, nous accueillerons les femmes qui viennent pour remettre en ordre leur vie pour accueillir leur enfant, pour trouver un chemin pour construire leur famille, et les femmes qui envisagent de confier leur enfant à l'adoption. Cet aspect-là est une spécificité de la maison de Rosalie, car dans les faits, en France, il n'existe pas ou peu de lieux qui accueillent ainsi les femmes concernées par la démarche de l'adoption.
Anne : Pour toutes les femmes, il y aura bien sûr également tout l'accompagnement au niveau administratif, médical, qui peut être très effrayant et nébuleux pour des femmes souvent jeunes et pour lesquelles les administrations sont parfois un vrai dédale. Cet accompagnement peut être également un accompagnement dans les projets professionnels car en vivant ensemble, on finit bien sûr par se connaître et donc par découvrir les talents des unes et des autres. La vie ensemble va permettre une entraide dans les premiers moments de la vie de maman. Voir les autres qui ont avancé sur le chemin change le regard, par le témoignage concret que l’accueil d’un enfant imprévu peut être une force et une joie.
Marine : Les différentes expériences s'enrichissent, avec l'équipe qui soutient les unes, alerte les autres, qui aide chacune à se parler, à faire le tri dans les émotions ressenties dans cette vie ensemble, qui n'est pas toute lisse. Pour que cette diversité de milieux sociaux, de cultures, de religions, porte du fruit, l'équipe de professionnelles est essentielle, parce qu'elle croit profondément que cela est possible. Le quotidien est accompagné mais pas dirigé. Les repas sont pris en commun, mais exceptée cette condition essentielle à une vie ensemble et les responsabilités quotidiennes partagées, chacune est libre de la gestion de son emploi du temps. Il est très important pour nous de soigner ainsi la liberté, la volonté et l'autonomie de chacune.
Anne : L'équipe est donc composée de personnes formées, qui s'engagent dans ce projet en vivant sur place. Nous avons constaté, par notre expérience d'éducatrices, que la continuité de la présence est fondamentale. Il faut être disponibles, attentives, force de propositions. Cela nécessite donc une présence 24h/24h, tous les jours de l'année pour proposer un accompagnement souple, inventif, adapté, respectueux, et bien sûr, avec un regard chrétien. En effet, la Maison de Rosalie est portée par des catholiques : l'accueil que nous proposons à ces femmes est ancré dans la foi, au nom du Christ et, même si chacune vient avec sa culture, sa religion, il est bien clair que notre identité est là et que c'est cela qui nous porte.
Pourquoi la Maison de Rosalie ? Pourquoi ce nom ?
Anne : Nous avons choisi de mettre la Maison d’Accueil sous le patronage et la protection de la Vénérable Rosalie Cadron-Jetté, en religion Mère de la Nativité, fondatrice des Sœurs de Miséricorde, en 1845, au Québec.
Marine : Rosalie s'est d'abord mariée et a eu onze enfants. Elle a été sage-femme. Ils ont connu la trahison, la ruine, l’exil, la pauvreté, et ont vécu tout cela ensemble, dans un grand amour familial, une grande unité. Devenue veuve peu après la naissance de leur dernière fille, Rosalie a continué courageusement à éduquer ses enfants, à les aimer, ouvrant toujours son cœur aux plus pauvres, aux plus fragiles. En 1845, à la demande de Monseigneur Bourget, son évêque, elle a fondé les Sœurs de Miséricorde, qui accueilleront les femmes enceintes hors mariage, à une époque où cela était vraiment considéré comme le pire des péchés par la société.
Concrètement, pouvez-vous nous dire quels sont vos objectifs pour le lancement de ce projet ?
Anne : Nous recherchons une maison pour pouvoir accueillir les mamans. Nous avons donc besoin d'une grande maison puisque les mamans (maximum 8) et l'équipe vivent sur place, avec un grand jardin, dans un village de campagne, avec médecin généraliste et commerces de proximité accessibles à pied.
Marine : Nous avons créé un site internet qui nous permet de faire connaître le projet et de collecter des fonds car la Maison de Rosalie vivra uniquement de dons, puisque nous ne sommes pas dans le cadre de missions confiées par l’État, et que nous ne recevrons donc pas de subventions. Nous avons donc besoin de dons privés, de mécénat, de subventions de fondations : c'est tout notre travail aujourd'hui : cette recherche de fonds et d'une maison. Nous avons donc besoin de nous faire connaître : si vos lectrices sont intéressées, nous pouvons leur envoyer des brochures à diffuser.
Anne : Nous voulons aussi sensibiliser sur cette question de l'importance du soutien à apporter aux femmes enceintes seules, de la vie à naître ! Nous organisons des veillées pour la vie cet automne et cet hiver et nous nous déplaçons dans les paroisses pour donner notre témoignage, parler de notre projet et proposer un temps de prière pour la famille et pour la vie. Les personnes qui seraient intéressées pour organiser une veillée peuvent nous contacter via le site.
Marine : et bien sûr, pour finir, nous avons besoin de vos prières ! Merci pour votre soutien !
Illustration de la couverture de l'article: Florence Gary
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