Jamais, plus qu’aujourd’hui il n’a été autant question de la maternité. Du post-partum. De l’accouchement. De la péridurale ou pas. Du congé paternité. De l’allaitement. Ce qui, depuis la nuit des temps, était une grâce (devenir mère), un don de Dieu est devenu un dû. Voilà ce qui a causé la « dé-spiritualisation » de la grossesse et de l’accouchement. Pourtant, elles sont innombrables, ces femmes dans la bible, frappées de stérilité, puis exaucées par Dieu, bénies par lui dans la maternité : Sarah, Rachel, Rebecca, Léa…
« Dieu se souvint de Rachel, il l'exauça, et il la rendit féconde. » (Genèse 30 ; 22-23)
« Isaac implora l'Éternel pour sa femme, car elle était stérile, et l'Éternel l'exauça: Rebecca, sa femme, devint enceinte. » (Genèse 25 ; 21)
« Abraham pria Dieu, et Dieu guérit Abimélec, sa femme et ses servantes; et elles purent enfanter. Car l'Éternel avait frappé de stérilité toute la maison d'Abimélec, à cause de Sara, femme d'Abraham. » (Genèse 20 ; 17-18)
Au-delà des débats que cela soulève (nos mères sont devenues mères dans une époque totalement différente), je réalise que la place de Dieu est vite occultée dans ce domaine.
Pourquoi ?
Peut-être parce que de prime abord, sans que le sujet soit tabou, la religion catholique en parle peu. L’accouchement et avec lui l’avènement de la maternité ne sont pas des sacrements. On ne se prépare pas à devenir mère comme on prépare sa confirmation ou son mariage. Pourtant, me direz-vous, c’est une étape aussi bouleversante qu’un mariage. Voire plus bouleversante. Quelles autres raisons alors ?
On pourrait penser qu’il y a eu, longtemps, une négation du corps. De la souffrance. Ou bien du dolorisme (Dieu a dit: "Tu enfanteras dans la douleur", donc tais-toi, et serre les dents !) Alors que les changements vécus par la femme au cours de la grossesse sont immenses, on lui a demandé de vivre cela en silence. Cette invitation, bien que magnifique, a pu occulter de nombreuses difficultés bien réelles, qui auparavant étaient palliées par la transmission. Oui, avant, les mères « formaient » leurs filles, dès leur plus tendre jeunesse, accompagnant la moindre étape de leur vie : puberté, premières règles, mariage, grossesse… Aujourd’hui, beaucoup de femmes, trop sans doute, sont seules face à cet abîme de la maternité. Certaines en sont heureuses et n’en souffrent pas. D’autres paniquent. D’autres se révoltent. Si bien que cette saison de la vie, haut lieu du combat spirituel, est devenu un sujet de revendications féministes de bas étage.
Il est urgent de redonner à la grossesse et à l’accouchement leur dimension spirituelle. Chacune a sa manière de vivre ces événements. Mais la femme enceinte possède une part de mystère que l’on cherche à percer en voulant parler de tout. Et si, au lieu de parler de tout, on préparait nos cœurs et nos corps à enfanter ? Et si la part de découverte dans ce voyage initiatique qui commence à la première grossesse était préservée du regard voyeuriste et consumériste de notre monde, mais accompagnée ? Et si l’on arrêtait d’opposer le spirituel et le corporel pour au contraire, les rassembler, et en faire une occasion d’union à Dieu ?
Seul Dieu sonde les cœurs et les reins. La prière ne remplace pas une bonne préparation à l’accouchement. Quand les vieilles dames de ma paroisse parisienne ont récité le chapelet autour de moi, juste avant que j’accouche, je me suis crue invincible. Mon premier enfantement a été très dur. J’avais envie de hausser les épaules en pensant « à quoi bon dire le chapelet si cela n’a aucune incidence ? » Bonjour bigoterie, adieu confiance ! En revanche, lorsque mon second bébé s’est mis en siège, et que je me suis vue forcée à la césarienne, j’ai fait tout ce que je pouvais pour que ce bébé se retourne. Tous les jours, je mettais la tête en bas. J’ai fait des séances d’acupuncture, d’ostéopathie. J’ai parlé à mon bébé. Mais je n’ai pas oublié de prier St Joseph. Résultat : au lendemain de la neuvaine que nous avions entamée avec mon mari, le jour de l’échographie de contrôle, on m’annonce un bébé qui a bien mis sa tête en bas et son petit dos à gauche. Miracle ? Je ne sais pas…
Nos mères, ces pionnières ?
Longtemps, je me suis demandée pourquoi il existait ce gouffre immense entre notre génération et celles de nos mères. Nos grands-mères, elles vivaient encore dans une autre époque, ou l’on savait peu de choses sur le corps de la femme et sur la sexualité. Le contexte des guerres mondiales a laissé une trace dans leur manière d’enfanter – sans se plaindre – et d’élever leurs enfants – avec abnégation et courage -. Nos mères, elles, ont connu une nouvelle ère. L’ère de la contraception. La rupture avec l’Eglise a été violente. Cautionner l’idée même de contraception, c’est aller contre la vie même. Cependant, avec Saint Jean-Paul II, un travail colossal a été fait pour dénouer les problèmes que posait la sexualité. Ce n’est pas moins de 130 catéchèses du mercredi que le saint a consacré à la théologie du corps, entre 1979 et 1984. En exaltant la relation conjugale au rang de « préfiguration de l’union du Christ et de l’Eglise », Jean-Paul II a sanctifié le plaisir, justifié la régulation des naissances, et magnifié le don des époux dans l’ouverture permanente à la vie. Mais en parallèle, les avancées de la science, qui ont été bienheureuses sur de nombreux plans, ont causé de nombreux dégâts collatéraux : contraceptifs, avortement, surmédicalisation de l’accouchement… La société est allée en ce sens, stigmatisant les mères au foyer, les faisant culpabiliser, ne leur offrant aucune solution pour pouvoir se consacrer à leur famille.
Quelle époque… Devenir mère relevait de l’exploit. Pourtant, sans broncher, elles l’ont fait. Elles ont découvert la péridurale, et ont jouit, pour certaines qui n’en avaient pas peur, d’accouchements indolores. Et encore, il a fallu que le Pape Pie XII, à l’époque, rassure les catholiques sur le fait que la péridurale n’était pas contraire à la morale chrétienne… Comment pourraient-elles comprendre ce qui semble être une mode, celle de l’accouchement « naturel », « physiologique » ? Elles se plaignaient peu, s’occupaient de tout, comment peuvent-elles comprendre les revendications actuelles d’allongement des congés paternité, et maternité ? Nos "chichis" sur la dépression post-partum ?
La dimension initiatique de la grossesse et de la maternité.
Alors que nous nous trouvons actuellement dans ce qui me semble être une impasse (tout dire, tout raconter, tout montrer), je reste convaincue que la grossesse, en particulier la première, et l’accouchement, sont des étapes majeures dans la vie d’une femme. Malheureusement, le pan ésotérique de la société s’empare de ces sujets. On ritualise, on tire des oracles. On invoque des déesses de la maternité. On idolâtre les organes féminins, le placenta. La femme devient une sorte de reine de la nature, en symbiose avec le cosmos. Mais à côté, on est toujours pour l’avortement.
Oui, la grossesse est un véritable voyage initiatique, et cela n’est en rien une pensée païenne. Notre religion est la religion de la parole par excellence, de l'Incarnation, vu la proximité avec les Ecritures qu’elle demande. Elle regorge de psaumes, de paraboles et de proverbes qui décrivent parfaitement le moindre état d’âme, la moindre situation. La bible est humaine et fait écho à chaque phase de notre vie, de notre journée. Les mains de nos prêtres sont faites pour bénir. Notre corps lui-même est une louange, une bénédiction, dont nous sommes responsables. L'Eglise est une communauté, ou chacun peut trouver refuge là où il en est… Nous possédons des milliers de modèles, ces saints qui peuplent le ciel et qui, par leur héritage, ont de quoi nous nourrir au jour le jour. La vie même du Christ ponctue nos années, le plus concrètement possible, avec ce regard d’espérance sur l’Eternité…
Et si l’on plongeait dans cet équilibre parfait pour redonner à la maternité sa dimension spirituelle ? Pour redonner au cycle menstruel sa dimension spirituelle ? Partout, les ouvrages se multiplient sur la physiologie de la grossesse et du corps féminin. On milite pour que les protections hygiéniques soient remboursées par la sécurité sociale. Et si on prenait le temps de s’émerveiller devant la femme enceinte ? Devant la jeune fille qui a ses premières règles ? Si, dans les difficultés quotidiennes rencontrées, on cherchait des réponses dans les psaumes ?
"Je n'ai d'autre pain que mes larmes,
le jour, la nuit,
moi qui chaque jour entends dire :
« Où est-il ton Dieu ? »"
Psaume 41
"Non, je tiens mon âme en paix et silence;
comme un petit enfant contre sa mère."
Psaume 131
"A voir ton ciel, ouvrage de tes doigts,
la lune et les étoiles que tu fixas,
qu'est donc le mortel, que tu t'en souviennes,
le fils d'Adam, que tu le veuilles visiter ?"
Psaume 8
Il est temps. Il est plus que temps de créer, d’inventer, de louer, d’unifier nos vies de femmes en voyant dans le concret de notre quotidien la beauté de Dieu. Oui, avoir ses règles est beau. Oui, accoucher est un acte sacré, parce que la vie est sacrée. Oui, on peut s’y préparer, préparer notre cœur et notre âme à ce moment d’union à Dieu, en gardant les pieds sur terre, dans le concret de nos maux de grossesse, des douleurs de nos enfantements, de nos post-partums déprimants. Les vivre avec le Christ, c’est les vivre.
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