Voilà le titre d’un récit de voyages qui se veut un témoignage, publié en 2020 aux éditions Vérone, un titre qui se veut également une question posée au lecteur.
Je ne connais pas ce pays, si ce n’est par les informations lues ou entendues çà et là dans l’actualité. Issue d’une famille de militaires, cela fait bien longtemps dans ma courte vie que ce nom revient à mes oreilles. J’avais moins de dix ans quand mon papa nous a annoncé qu’il se préparait à partir pour la « guerre du Golfe » (1990-1991), qui faisait suite à une guerre Irak-Iran (1980-1988). Pour moi, l’Irak, c’était un pays où mon papa risquait de partir combattre. Et il n’est pas parti. Et il y eut une deuxième ou troisième « guerre du golfe » (2003-2011), « Guerre contre le terrorisme », après les attentats du 11 septembre 2001. Et on continua de parler du pays aux actualités : « première guerre civile » (2006-2009), « deuxième guerre civile » (2013-2017)... Tensions, manifestations, attentats, combats, annonce de fin de guerre (2017), retour à la guérilla, terrorisme, enlèvements, massacres…
Rien qu’en étudiant ces quarante dernières années depuis 1980 , on constate que, de ce peuple en Irak, les deux dernières générations n’ont connu quasiment que des périodes de conflits armés et sanglants, le plus souvent sur leur territoire. Peur, incertitude, fuite, destruction… Le quotidien est marqué par les combats, la mort, les champs de ruines, l’exode, la vie dans les camps et le danger de tomber parfois sur une mine perfide laissée ici ou là, dans un champ, sous un couvercle…
L’espérance : un sentiment de confiance en l’avenir – nous dit le Larousse – qui porte à attendre avec confiance la réalisation de ce que l’on désire.
Dans un sens plus théologique, c’est une petite voix qui nous assure que rien n’est jamais perdu : Dieu est là, et Il s’occupe de tout, même si je ne comprends pas. C’est une manière de regarder la vie et ses difficultés non comme un mal, mais comme une promesse de vie. Accepter l’angoisse et, en même temps, être sûr que Dieu est là. L’espérance nous mobilise, nous fait avancer sans découragement. L’espérance se nourrit de la foi. Dieu est là, j’en suis sûr ; je crois. Il s’occupe de tout ; j’espère. Même – et surtout ! – si je ne comprends pas.
C’est une chose d’écrire cette définition devant un écran d’ordinateur. C’en est une autre de la mettre en pratique, de se laisser imprégner par cette espérance, de la vivre dans sa chair, au jour le jour, dans les difficultés quotidiennes.
Et eux en Irak ? Dans ce pays marqué par les conflits sanglants, la mort, la destruction, la ruine, l’exode, la solitude de ceux qui restent… comment parler d’une espérance ?
Irak, une espérance ? L’auteur pose la question.
C’est par curiosité que j’ai lu le témoignage de David Gloxin, après qu’il m’a présenté ce livre comme une peinture d’un paysage de l’Église en Irak. L’Irak, un pays que je ne connais pas. Un pays où la réalité est tellement différente de celle que je connais !
Si j’ai été désarçonnée par quelques aspects – l’écriture parfois, et surtout mon absence de culture générale sur ce pays, quant au paysage ethnique, politique, religieux… – je sors de cette lecture vivifiée.
Car il s’agit moins d’un tableau des difficultés rencontrées et des initiatives mises en place pour la reconstruction d’un pays, que du récit de rencontres humaines enrichissantes. Et ces rencontres enrichissent même le lecteur, resté si loin de ce peuple éprouvé.
Il y a ces petits signes qui, en France, nous paraissent tellement banals ! Des cyclistes sur le bord d’une route de campagne…
Oui, mais dans ce pays en ruine, rencontrer un cycliste qui consacre du temps à savourer l’effort physique d’un sport pacifique, c’est un signe de vie. Et je ne peux m’empêcher de penser, dorénavant, en doublant en voiture des cyclistes sur nos routes de France, à ces pays en guerre où les habitants ont soif de vivre en paix, et à la grâce que j’ai de vivre dans mon pays en paix.
Il y a ce boulanger, ce prêtre, cette religieuse, ce vieillard, cette famille…
Il y a cet évêque ! Avant de le rencontrer, on a vu le chaos, la destruction, les ruines, la solitude… Et au milieu des ruines, on rencontre un évêque qui construit, qui refait le monde. Est-ce utopiste, idéaliste, vain, voué à la destruction future, avant même la fin des travaux ?
Pendant la crise sanitaire liée au Covid-19, en France, au printemps dernier, j’ai rencontré un homme assez âgé, assis sur un banc public, aux côtés d’une amie voisine. Je promenais mon petit bébé dans sa poussette, et j’avais dans le cœur le désir d’un autre enfant. Devant la mer, j’ai écouté quelques minutes cet homme : « C’est la crise… Il ne faut plus rien faire, pas d’enfant surtout, tout ça c’est fini ! »
Et au milieu du champ de ruines, là-bas, en Irak, au milieu de ce peuple où chacun a enterré un proche, vu la mort de près, connu l’angoisse des combats rapprochés…, il y a cet évêque qui nous dit : « Donc, moi, (…) j’attaque ! (…) en attaquant ma peur. J’attaque ma paresse. Ce sont nos pires ennemis.
- Votre peur de quoi ?
- Ma peur de l’avenir, ma peur de l’autre, et ma peur de moi-même. Parce que je peux mourir demain, qu’est-ce qui va rester de mes rêves ? Qui va continuer le projet que j’ai lancé ? Qui, qui ?... C’est paralysant. Et puis la paresse qui est notre pire cancer, parce que vraiment vicieuse. Elle entre en vous dans des petits détails de rien du tout, en vous empêchant de travailler comme il faut, de finir un devoir comme il faut… Elle ternit l’enthousiasme ! Alors j’attaque ces manques d’enthousiasme en moi ! »
L’espérance… Cette petite voix qui nous assure que rien n’est jamais perdu : Dieu est là, et Il s’occupe de tout, même si je ne comprends pas.
J’ai eu l’occasion de poser quelques questions à l’auteur : voici donc un petit entretien avec David Gloxin, qui comble notamment mes propres lacunes et qui tient lieu d’introduction au témoignage édité.
Quel est le paysage humain en Irak ? Quelles sont les différentes ethnies représentées ?
Ce simple récit de voyage en Irak ne se veut pas exhaustif en ce qui concerne les différentes ethnies présentes en Irak. Toutefois, le but de ces déplacements étant de rencontrer les minorités que nous aidons sur place, nous avons eu la chance de rencontrer des chrétiens, essentiellement syriaques-catholiques et chaldéens, mais aussi des Yézidis qui ont été durement frappés par Daesh. Encore plus minoritaires, certaines ethnies demeurent très méconnues en occident, comme les Kakaïs qui vivent dans certains villages du Kurdistan irakien et qui pratiquent le Yarsanisme, les Shabacks, groupe ethno-linguistique qui pratiquent le chiisme, l'alévisme ou le yarsanisme, ou encore les Sabéens-Mandéens, peuple très lié aux fleuves et cours d'eau dans lesquels ils pratiquent le baptême à la suite de leur principal prophète : Jean-le-Baptiste.
Quel est le paysage religieux ?
Si l'on s'en tient à une vue générale, le pays est à 95% composé de musulmans, divisés en deux grands groupes, chiites d'une part, sunnites d'autre part. Dans le détail des minorités, le paysage religieux est éminemment contrasté : à côté des pratiquants de l'alévisme - un islam hétérodoxe qualifié parfois de libéral ou progressiste - et du yarsanisme qui peut être considéré comme une religion à part entière, il faut citer le yézidisme qui, avec un calendrier commencé plus de 4000 ans avant celui des chrétiens, est une des premières religions monothéistes. Les Yézidis, qui vivent notamment au Kurdistan et dans la région de Sinjar au nord-ouest de l'Irak, croient en un Dieu créateur ayant confié la direction des affaires terrestres à Malek Taous, un ange-paon qu'ils vénèrent, ce qui leur vaut de la part des musulmans des accusations de satanisme.
Concernant les chrétiens, nous avons essentiellement côtoyé les syriaques catholiques, Église fondée à Antioche par St Ignace d'Antioche, et les chaldéens, issus de l'Église nestorienne. En 1994, le patriarche chaldéen et le Pape établissent une déclaration christologique commune qui clôt, pour ces Églises, les différentes controverses liées à la querelle nestorienne.
Enfin, il faut citer la religion mandéenne : baptiste, monothéiste et gnostique, qui reconnaît en Jean-le-Baptiste son principal et plus important prophète. Les Mandéens se présentent comme les descendants des disciples du Baptiste et vivent dans les zones marécageuses de l’Irak méridional, dans la région des grands fleuves, leurs rituels étant intimement liés au baptême. Leurs prières sont récitées en mandéen, une langue vernaculaire tirée de l’araméen oriental avec des mots d’origine sumérienne. Aujourd'hui, fuyant les exactions des milices, ces adeptes de la tolérance et de la non-violence, beaucoup se retrouvent en Suède, aux États-Unis ou encore en France où une communauté d'une centaine de famille s'est installée en 2017-2018.
Quels repères retenir, quant au contexte politique ?
Le contexte politique reste très marqué par l'invasion américaine de 2003 puis de la guerre contre Daesh, ce qui a conduit de nombreuses minorités à fuir le pays, victimes d'exactions et de violences. Et puis, il faut noter un essoufflement dû aux conflits successifs : Iran-Irak de 1980 à 1988, invasion du Koweït en 1990 puis la première guerre du Golfe qui s'en suivit, les soulèvements kurdes contre le pouvoir, puis la seconde guerre du Golfe et l'occupation des Alliés, enfin la guerre contre Daesh ces dernières années.
Pour les minorités, les yézidis ont beaucoup souffert du dernier conflit et cherchent à faire reconnaître un génocide, les chrétiens ont été également directement attaqués, beaucoup sont partis d'Irak. Certains reviennent pourtant et il faut les y aider !
Pourquoi être parti en Irak ?
Partir, c'est choisir de s'ouvrir : s'ouvrir à des confessions et croyances autres, parfois proches des nôtres, parfois très éloignées. C'est aussi comprendre : comprendre ce que vivent ces minorités et pourquoi. Pourquoi quittent-elles leur terre ? Cette famille rencontrée ici dans un camp de réfugiés, là sur le parvis de son église démolie, d'où vient-elle, quelle est son histoire ? Comment l'aider ?
Quelle est votre mission sur le terrain ?
Sur le terrain, l'aide n'est apportée qu'en lien direct et étroit avec les autorités religieuses. Ce sont les évêques et les prêtres qui savent mieux que quiconque quels sont les besoins, les nécessités, les enjeux et les risques. L'aide peut être financière pour acheter des matières premières pour relancer un artisan, reconstruire des locaux, des appartements, acheter des fournitures pour des écoles, payer des salaires sur une période donnée, des moyens de chauffage dans des villages de montagne, aider à la construction d'écoles comme à Kirkuk chez Monseigneur Mirkis... L'aide peut aussi passer tout simplement par la présence physique, un temps de partage fraternel, un thé (il y a une grande tradition de l'accueil dans les familles... et j'ai bu des litres de thé !), sans oublier naturellement la prière, qu'elle soit en arabe, soureth, araméenn ou français. Dans tous les cas, une prière du cœur.
Comment est le retour en France ? Comment ce type de voyage change le regard ? Est-ce que ce type de voyage change quelque chose à la façon de vivre sa foi ?
Revenir en France m'a fait prendre conscience de la chance d'avoir des institutions qui fonctionnent, quoiqu'on en dise, même si hélas tout n'est pas optimal. Ensuite, séjourner dans un tel pays, miné par les conflits récurrents ces dernières décennies, fait comprendre d'un seul regard quelle est la pauvreté des plus démunis qui n'ont parfois pas accès, ou difficilement, au simple nécessaire. Voilà qui fait relativiser quant à nos problèmes de pays riches dont l'actualité raffole. PMA ? GPA ? Crèches dans les mairies ? ... autant de sujets qui n'existent pas quand votre maison est démolie, que vous peinez à trouver de quoi nourrir votre famille au quotidien, qu'il n'y a pas de travail, que les routes sont défoncées et obturées pour les couvre-feu, que votre famille est disséminée aux quatre coins de la planète, ou que vous cherchez encore à retrouver vos parents, votre enfant, votre ami, enlevés par Daesh et dont vous restez sans aucune nouvelle.
Sur le plan spirituel, nous arrivons, pétris de catholicité romaine, oubliant souvent que cette région du monde était évangélisée bien avant nos contrées, même lyonnaises ou bretonnes. Nous sommes au contact de syriaques catholiques et, l'instant d'après, avec des chaldéens, sans connaître ni bien saisir de prime abord la différence. Et puis il faut écouter, chercher, creuser. Se rendre compte qu'il a fallu des années pour avancer, se comprendre, reconnaître la filiation au Christ. Se rendre compte aussi de l'introspection nécessaire plutôt que de critiquer l'autre qui prie différemment. Se rendre compte aussi que nous ne sommes, comme eux, qu'une poignée de Français à pratiquer encore, une poignée qui doit se retrousser les manches plutôt qu'à se regarder en chien de faïence entre progressistes ou traditionalistes, entre communautés nouvelles, entre qui veut le latin ou le français, etc. En Irak, nous avons vécu la messe en diverses langues : araméen, arabe, soureth, français, anglais, latin... Il n'y a pas de langue divine si ce n'est que toutes le sont : quelle qu'en soit la langue, la Parole de Dieu s'exprime et doit nous pénétrer pour changer le monde à notre mesure. Changer le monde... une utopie ? Oui. Mais il n'y a que les utopistes qui sauvent le monde.
Si vous souhaitez lire le livre, vous pouvez le commander sur Internet ou dans n’importe quelle librairie : Irak, une espérance ? de David Gloxin, paru en juillet 2020.
Un des deux tunnels du mausolée du monastère de Mar Benham, dynamité dans les combats. Il a été reconstruit avec les méthodes traditionnelles par un jeune architecte français et des Irakiens locaux. Instant de lumière illustrant l'espérance...
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