6h: cela fait trois heures que ma fille a tété. Elle se réveille en faisant de charmants petits bruits, et mon oreille maternelle quitte un sommeil bienfaisant. Encore assoupie, je prends ce paquet gigotant, me rallonge, et le colle au sein.
6h15: le réveil de mon mari sonne. Une fois. Deux fois. Trois fois. A grand regret, mon cher époux s'extirpe du lit. Direction: la douche. J'entends alors l'eau couler, et je devine les bienfaits que cela lui procure, je devine que cela l'aide à émerger.
6h43: la nuit ayant été dure, je demande à mon mari de me prendre la petite qui s'énerve car elle n'a probablement pas faim. J'ai une demi-heure de répit devant moi. Admiration attendrie pour mon héros du quotidien qui descend prier et prendre son petit-déj, sa bambine sous le bras.
7h20: mon réveil sonne. Je m'habille machinalement. Il fait encore nuit noire. Je me dépêche un peu pour laisser partir mon mari. Là, j'entends un petit soupir de sommeil dans la chambre voisine: notre fils aîné se réveille. Mentalement, je calcule combien de temps il me reste pour avaler un bol de céréales, prendre mes médicaments et ranger rapidement la cuisine, en espérant qu'il patiente jusque-là.
8h: plus de bruit. Peut-être s'est-il rendormi ? Incertitude. Je finis mes céréales, tout en berçant du pied ma petite fille dans son transat, dont les yeux noirs s'ouvrent de temps en temps comme des billes, puis se referment pour un petit somme. Une petite prière et quelques notes dans mon carnet. J'entends appeler. Cette fois, il faut y aller. C'est papa qu'il appelle ! Je souris. Je cesse de bercer mon bébé, en espérant qu'elle ne se réveille pas. Je prépare un biberon, je monte.
8h10: volets ouverts, biberon avalé. Il fait toujours nuit noire. Je me dis "chouette, nous allons pouvoir faire un petit jeu tranquillement." Nous nous installons. Une douce odeur chatouille mes narines: première couche à changer de la journée.
8h15: couche changée, enfant habillé. C'est bon, cette fois, on joue. "Une petite pause pipi juste avant et j'arrive !". Pendant ladite pause dans ce sanctuaire chéri de la solitude, cris de joie. Le babillage enfantin et les pas précipités me font comprendre "Bébé ! Réveillé !" et j'entends alors les pleurs de mon bébé.
8h30: pourquoi pleures-tu, petit bébé ? Seconde couche de la journée. Pendant ce temps, le grand débranche toutes les lampes et traîne une guirlande lumineuse derrière lui après s'être appliqué à enlever toutes les boules des petites loupiotes. Le tout après avoir farouchement récupéré son doudou et sa tétine qui devaient rester sagement dans son lit, bien sûr. Je l'appelle. De nouveau, cette délicate odeur. Troisième couche.
Ce n'est que le début de la journée. On pourrait même dire qu'elle n'a pas vraiment commencé.
...
Je pourrais continuer ainsi et vous narrer toute une journée de notre quotidien. Je pourrais vous dire ce qui passe dans ma tête:
"La journée va être longue."
"Purée. Quand je pense qu'il faut que je les emmène tous les deux chez le médecin."
"J'ai mal au dos."
"Pas de café chaud aujourd'hui."
"Je dois encore vider le lave-vaisselle."
"Il fait toujours nuit et je suis levée depuis deux heures, j'ai changé trois couches, une jolie tache de rejet de bébé orne mon épaule, et j'ai des cernes jusqu'aux pieds, et il pleut."
...
Quel emploi du temps de rêve, me direz-vous. Il vaut mieux en rire ! Ce que je fais toute la journée ? Une jolie somme de petits gestes un peu ingrats, invisibles, et pourtant indispensables. Suis-je heureuse de faire cela ? Non, pas particulièrement, voyez-vous... Je ne me sens pas au sommet de l'expérience du don, de la pleine réalisation de ma vocation, de l'offrande de ma vie, bla bla bla... Je vois, autour de moi, des quotidiens bien plus attrayants, des jardins plus verts, des personnes plus rayonnantes. Toujours du "plus". Je me sens comme une petite cruche, un peu vide parfois, fragile aussi. Je ne pose aucun acte héroïque, et suis loin d'être indispensable. Ce que je fais, beaucoup le font mieux que moi.
Aujourd'hui, il faut être heureux, être bien physiquement et au top dans tous les domaines de nos vies. Et si l'on n'était pas sur terre pour être heureux ? Cela nous ôterait une belle épine du pied. Un lourde charge, que nous portons sur les épaules. J'aime à penser qu'en tant que chrétiens, nous sommes sur terre pour devenir saints. En pensant ainsi, mes journées me semblent bien plus belles, et ces petites taches que j'accomplis sont si petites que j'y trouve une grande joie.
Je me souviens, à Philanthropos, que nous fêtions en grande pompe les anniversaires. Pour les 25 ans d'une fille de notre équipe, nous avions fait une soirée "rose". Bonbons et paillettes, gâteau au chocolat, bougies. Au moment de souffler, nous lui avons dit de faire un vœu. Je fus scotchée lorsqu'elle nous dit, après avoir éteint les bougies, que son vœu le plus cher était de devenir sainte. Tout simplement.
Alors non: je ne cherche pas à vivre une journée parfaitement réussie, sans accrocs.
je ne cherche pas à être "la plus" (belle, rayonnante, organisée, super maman...)
je ne cherche pas à sauver le monde.
je ne cherche pas le bonheur à tout prix.
je ne suis pas une héroïne.
Je veux être sainte. Je veux être au meilleur de moi-même. Je veux pousser les miens à devenir encore meilleurs. Mais surtout, je veux être là ou je suis.
Finalement, je souhaite faire le job d'une petite cruche: puisque le bon Dieu m'a sortie de mon placard et dépoussiérée, je veux bien servir à quelque chose. Et c'est ce que je nous souhaite à tous: soyons les cruches du Christ. Dieu n'a pas besoin de nous, Il ne nous a créés que par amour. Le seul véritable acte héroïque, c'est le don du Christ sur la Croix. Pas nos petits sacrifices. Tout lui appartient. Lorsque l'ange Gabriel est apparu à Marie, elle ne lui a pas dressé une liste de ce qu'elle pouvait faire pour plaire à Dieu... Mais lorsqu'il lui demande d'agréer à la Volonté du Père, Marie répond simplement oui. Elle consent. Et d'un coup, elle devient canal de la grâce, temple de l'Esprit. Nous aussi, nous sommes appelés à être des canaux de Sa Grâce. En cette fin d'Avent, devant l'humilité de la crèche, cessons de regarder en nous ce que nous pouvons apporter au Petit Jésus, mais venons, simplement, nous offrir nous-même.
Prière de la petite cruche
Seigneur, excusez-moi si je vous dérange!
Il m’est venu à l’idée tout à l’heure
que vous aviez peut-être besoin d’un saint...
Alors, je suis venu pour la place,
je ferai très bien l’affaire!
Quoi qu’on en dise,
le monde est rempli de gens parfaits.
Il y en a qui vous offrent beaucoup de sacrifices et,
pour que vous ne vous trompiez pas en les comptant,
ils les marquent avec une petite croix sur un carnet.
Moi, je n’aime pas faire des sacrifices.
Ça m’ennuie énormément.
Ce que je vous ai donné, Seigneur,
vous savez bien que vous l’avez pris
sans permission.
Tout ce que j’ai pu faire,
c’est de ne pas rouspéter...
Il y a aussi des gens qui se corrigent
d’un défaut par semaine.
Ils sont forcément parfaits
au bout d’un trimestre.
Moi, je n’ai pas assez confiance en vous
pour faire ça.
Qui sait si je vivrais encore au bout de la première semaine?
Vous êtes si imprévisible, si impulsif,
mon Dieu!
Alors, j’aime autant garder mes défauts...
en m’en servant le moins possible.
Les gens parfaits ont tant de qualités
qu’il n’y a plus de place en leur âme
pour autre chose.
Ils n’arriveront jamais à être des saints.
D’ailleurs, ils n’en ont pas envie...
de peur de manquer à leur humilité.
Si vous ne voulez pas de moi non plus,
Seigneur, je n’insisterai pas.
Réfléchissez pourtant à ma proposition,
elle est sérieuse.
Quand vous irez dans votre cellier,
rappelez-vous que vous avez,
quelque part sur la terre,
une petite cruche à votre disposition!...
Auteur anonyme
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