Mercredi, jour des enfants. Il est 18h. Je sens poindre au fond de moi une boule, une boule qui s'invite de temps en temps; une boule qui vient s'ajouter au mal de tête que je subis depuis trois jours, à mes inquiétudes de voir la gastro qui s'est invitée chez nous, et à ma colère du vol de notre vélo cargo, véritable outil de travail pour nous. La liste est non exhaustive. Ce soir, je suis sans motivation. Préparer un repas, m'occuper des enfants et ranger la maison, tout en sachant que demain, je travaille: aucune de ces perspectives ne m'enchante.
Plus j'écoute cette complainte en moi, plus la boule grossit. Elle me coupe l'appétit. La nuit tombe, je ferme les volets, espérant préserver un peu notre intimité. Mais les pièces en désordre me rappellent que ma sécurité est (ou n'est pas ?) ailleurs. Il me semble tout mélanger: besoin d'une bonne nuit, de confort ou de vacances ?
Un frémissement m'a prise, l'autre jour: le temps passe de plus en plus vite. Est-ce dû à l'âge que je prends ? Est-ce dû à la société actuelle, qui nous fait vivre un quotidien en accéléré ? Est-ce dû à nos choix de vie qui nous ont amenés en ville ? Peut-être un peu de tout. Mais il me semble que ce temps où mes petits étaient bébés est révolu. Je n'ai plus de bébé. Mon premier achève sa maternelle tandis que ma dernière, du haut de ses presque deux ans, s'attache toute seule dans sa chaise haute et nous désarme par sa détermination à toute épreuve.
Je pensais avoir hâte. Hâte que mes enfants grandissent et ne soient plus des êtres minuscules et dépendants. Hâte d'amorcer cette période de la trentaine, chargée de promesses, de vitalité, hâte de voir se succéder les jours dans un rythme endiablé. Je ne voulais plus de cette monotonie des enfants en bas âge, de ce bal des maladies perpétuel. Mais avoir des bébés sur qui veiller, c'était une garantie d'un quotidien lent, sans horaires, avec peu d'obligations.
Et ce soir, je les contemple: les deux plus grands jouent avec leur père; la dernière termine son assiette de haricots verts. Nous vivons les quelques minutes d'harmonie quotidienne, tout le reste de la journée étant chronométré (le timing est si serré !). A cet instant précis, ils vivent et interagissent de manière naturelle, mais c'est magnifique de les voir ainsi. Et je n'aspire qu'à une chose: ralentir. Je me rends compte que je vis la semaine sensée être la plus calme depuis la rentrée: ma to-do list n'est pas trop remplie, je n'ai pas de rendez-vous particulier à honorer ni de tâche importante à faire. Mais je me sens aux prises, aux prises avec ce temps qui ne me laisse pas de répit et dont je suis devenue esclave.
Que faire alors ? Ai-je le droit ? Ai-je le droit de fermer les yeux quelques minutes, de respirer et de remplir mes poumons d'oxygène ? Ai-je le droit de décider que ce soir, il n'y aura pas de bain, pas de légumes, mais un jeu de société et une conserve de petits pois ? Je me sens si misérable face à toute cette pression... Il y a celle qui vient de moi, mais celle qui vient aussi de mon travail (celui de mère, et l'autre, celui pour lequel je suis payée !) Et si j'arrêtais de mouliner comme une girouette pour plaire à tout le monde ? Si je décidais que le bonheur ne viendra pas grâce à mon métier, grâce à ce que nous mangeons, mais grâce à ce que nous sommes ?
Il y aurait tant à aborder autour de notre vocation au bonheur !
Ce soir, j'ai envie de dire oui. Oui j'ai le droit (et c'est même un devoir) de souffler. De dire stop. De m'assoir sur le tapis, dépourvue de ces artefacts qui me privent de vraie relation avec mes proches, avec moi-même, avec Dieu. J'ai le droit, bien sûr, d'oxygéner mon âme. Peut-être est-elle là, la clef. Depuis quand n'ai-je pas prié ? Depuis quand n'ai-je pas parlé à Dieu ? De mes difficultés, de mes peines ? Il est là... Et pourtant c'est silence radio de mon côté. La nature ayant horreur du vide, ce silence se retrouve comblé par la fameuse boule, celle qui s'invite sans prévenir.
Vous savez ce qui est toxique pour nos vies ? C'est le black friday. C'est "l'ambiance de noël", celle qui arrive de plus en plus tôt chaque année. Michael Bublé, Maria Carey. Tout nous dit: consommez. Faites des cadeaux. N'oubliez personne. Brillez. Pensez à tout. Et la pression monte, encore plus !
Et bien j'ai envie de dire: faisons silence. Consommons, oui: consommons l'adoration, la communion. Faisons aux autres le cadeau de notre présence, de notre amour. Brillons par notre calme, notre paix et notre joie inaltérables. Ne pensons à rien d'autre qu'à faire notre devoir chaque jour du mieux que nous pouvons. Autrement dit, prenons sur nous son fardeau, à Lui, et Lui prendra le nôtre. Il l'a déjà pris !
Il me semble qu'un journaliste (ou un cardinal ?) demandait à Mère Térésa comment tenir bon dans les périodes chargées. Elle lui demande alors combien de temps prie-t-il par jour. Il lui répond: "Je fais une heure d'oraison." Et la sainte de lui dire: "Eh bien, dans les périodes chargées, faites non pas une heure, mais deux." Voilà qui a laissé notre intéressé pantois...
Je vous souhaite, je nous souhaite, un mois de décembre incarné. Un Avent sobre, joyeux, coloré. Je prie pour que, lorsque janvier arrivera, nous soyons toujours aussi heureux. Pour que rien n'altère notre joie profonde.
Veillons, prions !
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