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Photo du rédacteurPaloma D

Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France (1731-1767)




Dans les terribles heures de la Terreur, dans sa prison du Temple, Louis XVI était entouré de trois femmes courageuses : la malheureuse Marie Thérèse, sa fille, l’extraordinaire Elisabeth, sa sœur, la triste Marie Antoinette, sa femme. Pourtant, une autre femme a compté dans sa vie. Une femme partie trop tôt, dont les conseils et la sagesse auraient pu changer beaucoup de choses pour le roi et pour la France. Marie Josèphe était sa mère.


Un veuf de 17 ans

En 1746, le jeune dauphin de France, fils ainé de Louis XV, est veuf. Il n’a pas dix huit ans et pleure amèrement sa bien-aimée. Mais l’héritier de la couronne se doit d’être père, à Versailles on réfléchit déjà à une nouvelle dauphine. Le maréchal Maurice de Saxe, héros de la bataille de Fontenoy, demi-frère du nouveau roi de Pologne Auguste de Saxe, propose alors sa nièce, la jeune Marie Josèphe, jeune princesse saxonne née à Dresde en 1731. Ce parti est soutenu par la favorite Mme de Pompadour qui espère par là se faire une alliée parmi les enfants du roi. Marie Josèphe n’a pas quinze ans. Trois mois après la mort de la première dauphine, le mariage est décidé entre la princesse de Saxe et le dauphin de France.

A son arrivée à la cour, la timide jeune fille charme tout le monde, sauf le dauphin Louis, veuf éploré. Lors de leur nuit de noce, après que les témoins ont quitté leur chambre, le jeune homme de dix-sept ans pleure au souvenir de sa première épouse. Marie Josèphe, avec douceur, lui répond : « Donnez, Monsieur, donnez libre cours à vos pleurs, et ne craignez pas que je m’en offense : ils m’annoncent ce que j’ai droit d’espérer moi-même si je suis assez heureuse pour mériter votre estime ».


A Versailles comme sur la scène

A la cour, Marie Josèphe tente de plaire à tous, et surtout à sa belle-mère, la reine Marie Leszczynska, dont le père a été détrôné de Pologne par le père de Marie Josèphe. Le lendemain des noces, au grand bal masqué, la tradition veut que Marie Josèphe porte au poignet une miniature de son père. Par délicatesse, la dauphine arbore à la place un portrait de Stanislas Leszczynski, père de la reine. « Que de savoir vivre, que de savoir-faire, quel tact et quelle délicatesse chez cette jeune princesse qui, en si peu de temps, a su se montrer tendre envers Louis XV, spirituelle envers ses belles-sœurs, humaine et compréhensive pour le dauphin ! »

Pour plaire à son époux, pieux et réservé, et qui la méprise pour son jeune âge, Marie Josèphe tente de réfréner son caractère joyeux et exubérant, mais s’entend à merveilles avec les sœurs du dauphin qui jouent beaucoup. Patiemment, elle tente d'apprivoiser son étranger mari, qui vit toujours dans le souvenir de sa première épouse et affiche un sérieux volontiers contrasté avec le roi. Dans les trois premières années du mariage, tous fixent avec impatience le ventre de la dauphine, qui enchaine les espoirs déçus. Louis XV rassure avec affection celle qu’il appelle « Pépa ».


Le mari apprivoisé

La dauphine aime profondément son époux, qui peu à peu s’attache à la jeune fille et bientôt ne peut plus se passer de sa présence. En peu de temps « Pépa est parvenue à transformer le grand adolescent maussade, boudeur, égoïste, gâté, imbu de son érudition livresque, en un homme amoureux, attentionné, gai, nous dirions même bien dans sa peau ».

En 1750, enfin, la dauphine parvient au bout de sa première grossesse, et donne naissance à une fille, appelée la « petite Madame ». Excepté le dauphin, personne ne cache sa déception à la jeune accouchée qui pleure, épuisée. De nouveau enceinte en 1751, Marie Josèphe sent les contractions au milieu de la nuit, et calmement appelle le roi et les témoins, selon l’étiquette. Le dauphin ne trouve que deux porteurs de chaise et six gardes du corps, premiers témoins pour constater que l’enfant – appelé « duc de Bourgogne » - est bien « attaché » à sa mère, calme et sereine. « La cour, tout à la joie, continue d’encombrer la chambre de l’accouchée qui, en dépit du bruit des conversations et des exclamations, continue à dormir le plus paisiblement du monde. »


Seule au milieu de la cour

En France, la situation est grave. Sournoisement, la Révolution se prépare. Le dauphin fait distribuer de l’argent, mais on lui réclame du pain plutôt ! Ce que Marie Josèphe ne craint pas de rapporter au roi, qui ému par ses larmes, fait baisser le prix du pain. La dauphine a un fort caractère, et lutte contre ses emportements de colère, qui ne durent jamais. Mais soutenue par la religion, elle se veut pleine de bonté pour tous. Elle est aussi souvent jalouse, et non sans raison : le dauphin, malgré sa grande piété, est bien le fils de son père et convoite parfois même les cibles paternelles. Marie Josèphe le sait. « Elle se dit qu’il lui faut suivre le digne exemple de la reine, bien que cette résignation ne soit guère dans son caractère. Elle souffre dans son orgueil de femme, d’amoureuse, de princesse, et redoute surement que le fils ne devienne comme le royal père. »


"Comment vous appelle-t-on, ma bonne?"

A l’été 1752, le dauphin tombe malade, c’est la petite vérole. Pépa ne quitte pas la chambre de son mari, où elle a fait dresser un lit de camp. Elle ne s’y repose pas, mange à peine, et accourt au moindre gémissement de Louis. Lorsqu’elle sent les larmes lui monter face à la faiblesse du malade, la dauphine s’isole dans un coin de la chambre pour que Louis ne la voit pas pleurer, puis revient à lui en affichant un visage serein.

Le docteur Pacerre, venu de Paris au chevet du dauphin, et qui ne la connait pas, voit tous les jours dans la chambre cette jeune femme très simplement habillée, qui pourvoit à tous les besoins du malade. Pacerre recommande « qu’on suive exactement ce que cette petite femme ordonnera, car elle entend à merveille tout ce qu’il faut ». Mais lorsqu’il apprend qui elle est, le docteur s’exclame : « quand je vois nos petites dames de Paris faire leurs précieuses et craindre d’entrer dans la chambre de leurs maris quand ils sont malades, comme j’aimerais les envoyer à cette école » ! Louis guérit, enfin. En 1753, Marie Josèphe accouche difficilement d’un deuxième garçon.


"La pauvre dauphine..."

Le 22 février 1754, le petit duc d’Aquitaine, qui n’a pas deux ans, est emporté par la coqueluche. Marie Josèphe affronte son immense chagrin en chrétienne et se réfugie dans la prière. Six mois plus tard, la dauphine accouche d’un fils, le duc de Berry, futur Louis XVI. En 1755, Pepa accouche d’un nouveau fils, duc de Provence, futur Louis XVIII. Mais en 1756, le dauphin et sa femme ont la douleur de perdre subitement la petite Madame, âgée de six ans.

Et comme si ce n’était pas suffisant pour le cœur éploré de Marie Josèphe, la guerre de Sept Ans éclate lorsque la Saxe, sa patrie natale, est envahie par la Prusse. La dauphine écrit à un ami que « le Bon Dieu fait pour le mieux ; Puissent ce malheur et la peine qu’il me cause servir d’expiation pour mes péchés, mais je vous prie de vous souvenir dans vos prières de ma famille et de ma patrie… » Elle commence toutes ses lettres par une petit signe de croix en haut des pages. Comme la réponse de ce prélat ami lui parle du Ciel, elle répond « Demandez Lui surtout qu’Il me fasse la grâce d’en bien profiter, car que me servira de vivre longtemps malheureuse (car désormais ma vie ne peut plus être heureuse) si je ne sais profiter de mes malheurs pour obtenir de la miséricorde de Dieu un bonheur qui ne finira jamais » !


La tendresse de Louis XV pour la Dauphine

Au sein de la famille royale, Pépa sait être celle qui écoute, elle ressent vivement les souffrances des autres, et veut être attentive à chacun. Louis XV l'aime beaucoup. La Saxe est toujours occupée par les Prussiens. La reine de Saxe, mère de Marie Josèphe, prisonnière dans son palais, communique avec sa fille qui admire son courage : « Ah ! Mon Dieu, quelle sainte ! Que ne puis je avoir la même résignation et la même conformité à la volonté du Seigneur ». Elle prie tous les jours pour son pays, en récitant la prière du roi Josaphat : « Ô mon Dieu ! ne ferez vous point justice de ces agresseurs ? Je reconnais que nous n’avons pas assez force pour résister à la multitude d’hommes qui fond sur nous, aussi, dans notre impuissance à connaître le parti que nous devons prendre, il ne nous reste autre chose que de tourner les yeux vers vous-même, Seigneur. »

Elle prend les souffrances de la Saxe pour un châtiment divin lié à ses propres péchés et à son caractère trop enjoué, et ne cesse de prier pour son pays et de solliciter Louis XV. En novembre, prisonnière de son palais, la mère de Pépa meurt de tristesse. On entend la dauphine s’exclamer entre deux sanglots : « ah ! qu’elle est heureuse ! »


Les devoirs des parents

En 1757, Pépa accouche en quelques heures d’un nouveau fils, comte d’Artois, futur Charles X. L'avenir de la couronne semble assuré.

Dans tous ces courriers, Marie Josèphe fait référence à Dieu. Les bonnes nouvelles de Saxe sont pour elle à attribuer à l’intercession de la Sainte Vierge et de Saint Joseph sous la protection desquels elle prie. En 1758, elle accouche d’une nouvelle fille, Marie Clotilde, et de façon si rapide que Louis est le seul témoin avec la première femme de chambre et la sage-femme. Pour Pépa, « jamais elle n’a eu de couches si heureuses » !

En 1759, Marie Josèphe et Louis constatent que leur ainé, duc de Bourgogne, est de plus en plus orgueilleux. Accompagné de Berry et Provence, ses parents l’invitent à consulter les registres de baptême de leur paroisse de Versailles, où leurs noms ont été inscrits sans distinction particulière entre les noms d’inconnus. « Nous sommes tous égaux devant Dieu dans la naissance et dans la mort. Seuls nos actes nous diffèrent les uns des autres. Vous serez un jour plus grands que ces enfants dans l’estime du peuple ; mais ils seront eux-mêmes plus grands devant Dieu s’ils sont plus vertueux. » Le couple delphinal se veut proche de ses enfants, Pépa s’occupe elle-même de l’enseignement de la religion et la surveillance des études d’histoire. Les enfants ont tous la formidable mémoire de leurs aïeux.


Maman d'un saint

Mais bientôt le duc de Bourgogne fait montre d’une santé chancelante, probablement des suites d’une chute. Il garde le lit de longs mois. Toute à son inquiétude pour la santé de son fils, Marie Josèphe a en plus la douleur de voir les Jésuites chassés du royaume, sans que le roi et le dauphin n’aient réussi à les sauver. Le duc de Bourgogne veut continuer les études, et se prépare à mourir. en octobre 1760, Marie Josèphe apprend la mort de sa sœur, reine d’Espagne. Ebranlée par la douleur, elle s’en remet encore à Dieu.

En novembre, le duc de Bourgogne doit faire sa première communion. Marie Josèphe, souffrante, ne peut y assister. Offrant ce sacrifice pour la guérison de son fils, elle déclare : « puisqu’il plait à Dieu de me refuser la consolation de l’âme, il est juste qu’entrant dans ses vues, je me prive même de celle de son cœur ».

Pendant de longs mois, le fils de Pépa fait l’admiration de tous dans sa résignation contre la douleur. « Regrettez-vous la vie ? – oui, j’avoue que je la perds à regret, mais j’en ai fait depuis longtemps le sacrifice à Dieu. » Marie Josèphe a beaucoup maigri, et veille son fils. Elle confie à son frère : « Le Bon Dieu me donne bien de la consolation par la piété d’ange de ce pauvre enfant. Il demande l’extrême onction, il dit qu’on peut la lui donner quand on voudra parce qu’il a fait le sacrifice de sa vie. Si ces sentiments me font plaisir, ils me couvrent en même temps de honte en voyant une piété si tendre dans un enfant qui n’a pas dix ans… Les larmes me suffoquent, je ne puis vous le dire davantage… » Le 21 mars 1761, après avoir crié « Maman », le duc de Bourgogne meurt. Marie Josèphe et son époux restent longtemps prostrés, ne pouvant y croire. « Mon fils est dans le ciel, mon cher frère. J’espère qu’il priera pour moi et m’obtiendra la grâce d’y arriver aussi… » C’est la vue de leurs autres enfants qui les rendent à la vie.


Etre celle qui reste

En 1764, Pépa accouche d’une fille, celle que l’on appellera « Madame Elisabeth », et qui héritera bien du courage et du caractère de sa mère. Louis ne quitte pas sa femme et l’entoure de soins prévenants. Les deux parents sont toujours aussi soucieux de leurs enfants, et tentent de déceler les hommes que deviendront les princes, surtout l’héritier du trône, duc de Berry.

Le dauphin Louis, pieux et sérieux, est de plus en plus populaire. Colonel des Dragons-Dauphin, il aime se mêler à la vie des soldats sur les camps. Lorsque Pépa lui rend visite, il la prend dans ses bras, puis la présente à ses troupes : « Approchez-vous, mes enfants. Voilà ma femme ! » Un tonnerre d’acclamations salue ce couple si amoureux.

Mais en aout 1765, Louis prend froid. Son état s’aggrave, Pépa est aux petits soins, suscitant encore une fois l’admiration de son mari : « ô la digne femme ! Après avoir fait le bonheur de ma vie, elle m’aide à mourir ! » Les larmes viennent souvent à la dauphine, mais elle retient comme elle peut pour ne pas chagriner son mari, qui annonce sa volonté qu’elle soit la maitresse absolue des enfants à sa mort. Elle craint toujours qu’il ne s’ennuie, ce à quoi il répond toujours « non, mon cœur, puis-je m’ennuyer quand tu es là ? » Après une longue agonie, Louis meurt le 20 décembre 1765.

A son frère, la dauphine dira « le Bon Dieu a voulu que je survive à celui pour lequel j’aurais donné mille vies. J’espère qu’Il me fera la grâce d’employer le reste de mon pèlerinage à me préparer, par une sincère pénitence, à rejoindre son âme dans le ciel, où je ne doute pas qu’il demande la même grâce pour moi ». Sa magnifique chevelure tant aimée par Louis, est coupée à la demande de Marie Josèphe qui ne voit plus l’intérêt de la conserver. Elle ne veut plus se maquiller, et porte le noir au quotidien.


"Les écrits de votre père seront votre plus riche héritage"

Marie Josèphe ne sait pas qu’elle a contracté ce qui a tué Louis. Elle n'avait jamais voulu quitter son chevet, et à l'époque on ne se méfie pas de la contagion. Elle crache fréquemment du sang, mais ne veut inquiéter personne. Désormais sa seule préoccupation est de préparer son fils à devenir roi. « Un prince né pour le trône ne doit pas être jeune trop longtemps. Il faut l’instruire de bonne heure dans les connaissances qu’il lui serait honteux d’ignorer ». Ses cinq enfants sont sa joie. Elle leur parle tous les jours de Louis : « votre auguste père existe encore, en somme ; il vit en moi qui suis animée du même zèle, encouragée par les mêmes vues, pénétrée des mêmes sentiments ; je serai son organe et son interprète. »

Elle se plonge dans les écrits de son studieux mari, et insiste sur l’enseignement de l’histoire et l’exemple des grands rois passés. Elle veut transmettre au futur Louis XVI les idéaux de son père : « dès que l’on se fixe l’esprit à quelque chose, et qu’on croit avoir le meilleur parti, il faut le prendre. Rien n’est plus dangereux que la faiblesse, de quelque nature qu’elle soit. Pour commander aux autres, il faut s’élever au-dessus d’eux… »

Elle supervise les études, en même temps qu’elle se forme. Voulant prendre comme exemple Blanche de Castille, elle dit au jeune dauphin : « Quel roi que Louis IX ! il fut l’arbitre du monde ! Quel géant ! […] Puissiez-vous marcher sur ses traces ! qui plus que moi s’intéresse à votre gloire ? qui plus que moi s’intéresse à votre bonheur ? Je vous aime, mon fils. Ce sentiment si précieux à mon cœur fera ma consolation si, docile aux leçons d’une mère à qui la vie sera odieuse sans cette espérance, vous devenez dans la suite un grand roi ».


La garde malade qui tombe malade

En 1767, Marie Josèphe va de plus en plus mal, et se prépare bientôt à faire le sacrifice de sa vie. Le 11 mars, elle confie ses enfants à la reine : « à vous Madame, je recommande mes enfants, mais surtout mon âme avec prière de me pardonner les chagrins que je vous ai causés », ce à quoi répond Marie Leszczynska : « des chagrins ? Ah ! ma fille, le seul que vous m’ayez donné, c’est l’état où vous êtes ! » Le 13 mars 1767, après avoir embrassé avec ferveur le crucifix de Louis, elle rend son âme à Dieu, et meurt de la tuberculose pulmonaire, quinze mois après Louis.

Pourquoi chercher cette femme ? On ne la connait pas, car morte avant d’avoir été couronnée reine, elle passe inaperçue dans les livres d’histoire. Qu’aurait été la France si Louis n’avait pas été emporté à quarante-six ans ? si Marie Josèphe avait pu vivre plus longtemps pour accompagner son fils dans son accession au trône ? La mère des trois derniers rois de France était une princesse, jusqu’au bout des ongles. Ferme, forte, pieuse, attentive, dotée d’une vraie sensibilité du mal d’autrui, et qui n’aura rien réclamé au roi sinon des faveurs pour les autres. Femme, épouse, mère, elle aura, de son mieux, tout illuminé de la présence de Dieu. Car elle savait les comptes qu’elle aurait à rendre dans l’autre monde.

Source : Marie Josèphe de Saxe, Monique de Huertas, Pygmalion, Paris, 1995.

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