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Photo du rédacteurLise D

Noël ou le secret des mondes

Dans moins de quinze jours, c'est Noël. Peut-être que nos cœurs n'y sont pas du tout, peut-être sommes-nous inquiets, sommes-nous déçus, tristes et préoccupés, angoissés par nos soucis, par notre monde, par ce qu'il devient. Peut-être voyons-nous venir ce Noël avec un peu de lassitude, de cynisme même. Peut-être trouvons-nous ironiques d'entrer dans la joie, la candeur et la simplicité quand tout nous semble triste et inextricable.


Si tel est l'état de notre cœur, laissons-nous toucher par ce conte bouleversant d'espérance : Christiane Singer nous y livre le sens profond de Noël: « coïncidence de l'abîme et de la cime ». Elle nous rappelle qu'il est « le secret des mondes » dans ce récit extrait de son dernier livre : « Derniers fragments d’un long voyage ».


Donnons une chance à l'Espérance : elle qui ranime les cœurs, elle qui « traversera les mondes révolus » (1), elle qui ne déçoit pas (2) :


“Au cœur des forêts des Carpates, mes arrière-grands-parents tenaient une auberge solitaire; on y entendait les nuits d’hiver hurler les loups. Il n’était pas rare alors de sauver in extremis de la meute qui l’avait pris en chasse un voyageur égaré. Quand les ballots de paille enflammés en toute hâte flambaient et crépitaient jusqu’aux étoiles, les hurlements s’éloignaient. Voilà ce que racontait ma grand-mère quand j’avais quatre ans. Elle m’a légué les loups, les forêts et la démesure en toutes choses : l’infini des terreurs et l’infini des espérances. Aujourd’hui c’est un de ses récits qui m’est rendu.


Nuit glaciale.

La forêt est profonde, inextricable.

Un vieil homme hagard d’épuisement se fraie passage, une lanterne à la main. Il trébuche pitoyablement, tente de se retenir aux branches, son visage est lacéré par les pointes givrées, ses bras cruellement égratignés.


Enfin sa course éperdue prend fin : dans une chaumière au milieu d’une clairière, la porte s’est ouverte. Une vieille femme se précipite et l’accueille dans ses bras. Elle le tire effondré, le traîne jusqu’à l’âtre, le hisse dans son fauteuil à bascule. Penchée vers lui, la main sur son front, elle murmure en le berçant “oui, oui, voilà, voilà…” Elle accompagne ses gémissements de sa litanie “oui, oui…”, tisse une interminable guirlande amoureuse “oui, oui…”.


Le visage du vieil homme s’apaise, s’adoucit. Les heures s’égrènent. C’est maintenant le visage d’un homme mûr et tranquille. Les heures s’écoulent encore. C’est le visage d’un homme dans la force de l’âge, puis celui d’un homme jeune qui rêve. Au blanchiment de l’aube, c’est le visage d’un adolescent encadré de mèches folles. Puis bientôt celui d’un tout jeune enfant. Aux premiers rayons de l’aurore, il ouvre des yeux de nouveau-né noyés d’infini.

Le cycle est accompli.


Ce récit porte en lui la quintessence du mystère de Noël. Cette nuit d’hiver glaciale, n’est-ce pas celle dans laquelle nous nous sommes fourvoyés, notre nuit à tous, le plus souvent cachée à la vue des autres ? La vie nous a usés. La plus cruelle vieillesse n’est pas organique: elle est celle des cœurs. Nous sommes devenus de vieux morts-vivants, amers. L’éclat est perdu ; nos espérances sont écornées ; nous nous sommes accommodés de désespérer du monde. Trahison des trahisons.


Comment dans cette nuit du solstice d’hiver la plus interminable de l’année, la nuit des tueurs d’Hérode et des longs couteaux tirés, le retournement serait-il possible, seulement pensable ? Comment ?


C’est là l’entier mystère : la coïncidence de l’abîme et de la cime. C’est dans cette nuit-là et dans aucune autre que le miracle va advenir. Et il advient ! Dans la nuit des femmes, la nuit de la patience infinie… “oui, oui…”, la nuit des gésines, la nuit des entrailles ! Car le voilà le secret des mondes que révèle Noël !


Même si l’homme doit mourir, la vie lui est donné pour naître, pour naître et pour renaître…C’est la naissance qui lui est promise et non la mort.

Tous les chevaux du roi, tous les tanks et tous les bombardiers de toutes les armées du monde ne sauraient retenir les ténèbres ni entraver l’irrésistible montée de l’aube !

Il n’est plus que d’acquiescer pour qu’en toi le miracle s’accomplisse !


Heureuse naissance, oui, joyeux Noël !”


(1) Charles Péguy, « Porche du mystère de la deuxième vertu »

(2) Romains, chap. 5, v.5

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