Parmi les vitraux que j’ai pu admirer, c’est un de ceux que je préfère, pour ses couleurs et son dessin. Je n’ai aucune compétence en matière d’Histoire de l’Art, et je ne pourrai en faire une description historique, avec du vocabulaire spécialisé ; mais, dans mon ignorance de ces spécificités, j’aime contempler ce rouge profond, ce bleu azur, la finesse du dessin des visages, et la lumière qui traverse ces verres colorés et dorés.
La basilique Notre-Dame du Folgoët, près de Lesneven, en Finistère, a été construite au chevet d’une fontaine, au XVème siècle. Elle était riche de nombreux vitraux, dont une partie fut détruite au cours d’un incendie en 1708. Les autres furent saccagés à la Révolution, si bien que les vitraux actuels datent du XIXème siècle, pour les plus anciens, et du XXème siècle.
On peut contempler, sur la verrière au-dessus de l’autel du Rosaire, Marie couronnée, portant Jésus, qui remet le rosaire à Saint Dominique, avec saint Vincent Ferrier et sainte Catherine de Sienne. Les médaillons autour illustrent les quinze mystères du rosaire. Cette scène est très présente dans de nombreux lieux de culte en Finistère, qu’elle soit représentée sous forme de statues de bois, statues de pierre, tableaux peints, vitraux. Témoin de la piété qui s’attache à la Vierge Marie, Mère de Dieu et de tous les hommes.
Sur cette verrière du Folgoët, un personnage original contemple la Vierge : un homme qui se balance aux branches d’un arbre, les yeux fixés sur Marie.
C’est de lui qu’une autre verrière de la basilique raconte la vie.
Le nom de Folgoët (bois du fol, du fou, en breton) rappelle la légende qui s’attache à la fondation de l’édifice
Salaün, simple d’esprit né au milieu du XIVème siècle, vit dans un bois, au creux d’un chêne, près d’une source située aux environs de Lesneven. Il ne connaît que quelques mots, et les murmure en oraison continuelle : « Itron Gwerc’hez Vari », Dame Vierge Marie, en breton. Les habitants alentours le nomment familièrement « le fou du bois » (Fol ar Coat). Pour se nourrir, Salaün mendie son pain de ferme en ferme, répétant inlassablement ses mots : « Itron Gwerc’hez Vari, Salaün a zebfre bara ! » (Ave Maria, Salaün mangerait bien un morceau de pain !)
Objet de la risée des habitants, il passe son temps dans le bois, se balançant de branche en branche, se baignant dans la rivière, buvant à la source… Et murmurant en oraison ses mots à la Vierge Marie, ou les chantant à pleine voix.
Un jour, on le trouve mort, et il est enterré dans l’indifférence, au pied de son arbre.
Peu de temps après sa mort, un mois de novembre, on vit pousser sur sa tombe un lys. Lorsqu’il s’épanouit, on put voir, dessinés en lettres d’or au cœur des pétales les mots : « Ave Maria ». En creusant la terre, on s’aperçut que la plante sortait de la bouche de Salaün le fol.
La nouvelle du miracle attira rapidement les foules, et on voulut bâtir une chapelle sur la tombe de l’innocent. Aujourd’hui basilique, l’édifice attire encore de nombreux fidèles qui viennent confier à Marie leurs intentions.
Lorsque, enseignante, je racontais à mes élèves cette histoire de Salaün, considéré par tous comme « le fou du bois », j’insistais auprès des enfants sur ce témoignage de la Vierge Marie. Notre maman du Ciel ne porte pas le même regard que le monde sur les personnes, et nous sommes invités à regarder l’autre avec son regard. N’a-t-elle pas ainsi, par ce lys d’hiver, rendu grâce à ce mendiant, innocent, illettré, et cependant imprégné d’amour pour la Vierge Mère ?
Au cours de babysitting, j’ai rencontré un petit garçon, porteur d’un handicap lourd. Il ne connaissait que peu de mots, et sollicitait énormément d’attention ; son comportement demandait à son entourage de veiller constamment sur lui, afin qu’il ne lui arrive rien de dangereux. Élevé dans une famille chrétienne, il connaissait avec son cœur l’ « Ave Maria », et répétait inlassablement la prière du « Je vous salue Marie ». Pour canaliser son énergie, je le menais souvent à l’oratoire. Là, soudain, il restait immobile devant une statue de Notre-Dame, les yeux fixés sur elle, murmurant sans se lasser les mots de l’ « Ave Maria ».
Chaque fois que je raconte l’histoire de Salaün, je me rappelle ce petit Augustin. Et mon cœur me murmure que sûrement la Vierge Mère tient bien serrés dans ses bras ces petits êtres si fragiles dans leur vulnérabilité.
Comments