Je repensais récemment au jour où, jeunes fiancés, nous étions allés choisir nos alliances, il y a quelques années, après avoir mûrement réfléchi à ce que nous voulions graver à l'intérieur, remplis de la joie profonde de vivre ce moment qui commençait à sceller concrètement notre amour...
Je me souviens que l'orfèvre avait été étonné lorsque nous lui avions dit que "Dieu" devait figurer dans les petites écritures fines qui orneraient nos alliances... Un petit air moqueur, goguenard même, et ces mots : « Vous vous mariez avec Dieu ? »... Je l'avais mal pris...Mais, au fond, il ne croyait pas si bien dire et son ironie était plutôt clairvoyante, car nous ne choisissions pas seulement de nous lier l'un à l'autre mais de nous encorder l'un à l'autre, vers Lui...
Objectif si vertigineux, si enthousiasmant, si réconfortant mais parfois si ardu, aride et exigeant... Désir naïf, téméraire, illusoire ? Il serait trop ambitieux de s'attaquer à un sujet si riche et profond ici, mais, en relisant, suite à ces pensées, La Boutique de l'Orfèvre, de Karol Wojtyla (Saint Jean-Paul II), il m'a semblé que cette pièce de théâtre pouvait nous faire rentrer dans le mystère du mariage avec une grande force, à la fois pleine de pudeur et de lucidité.
« Trois couples. Deux générations. Une histoire universelle. Six âmes qui déposent sur le pavé de la rue, leurs questions, leurs doutes. Au milieu d'eux, un étrange personnage, « leur dénominateur commun » Adam. Mais que veut-il leur faire comprendre ? Et pourquoi retrouvent-ils toujours le Vieil Orfèvre et sa boutique sur le chemin de leurs vies ? Cette histoire commence en Pologne, en pleine seconde Guerre Mondiale mais elle ne finit pas... celui dont on parle n'a pas de lieu, d'âge ni de temps : L'amour. »*
Telle est l'intrigue, à la fois universelle et unique, sans faux-semblants, ainsi que le souligne le sous-titre de l’œuvre : « méditation sur le sacrement de mariage qui, de temps en temps, se transforme en drame ».
Je ne peux que vous conseiller ce texte extraordinaire, poétique et imagé, qui nous fait entrer dans les âmes de Thérèse et André, d'Anna et Stéphane, et de Monique et Christophe. La finesse, à la fois psychologique et spirituelle, qui s'en dégage, nous invite à renouveler notre regard sur le mariage, sur ses défis et ses joies, et sur son enjeu final :
« refléter toujours, d'une certaine manière, l'Existence absolue et l'Amour. »
Avec Thérèse et André, on comprend que l'amour dépasse le sentiment amoureux, la passion, qu'il doit aspirer à la vérité, à la densité, à la durée et qu'aimer quelqu'un, c'est le choisir. Le vieil orfèvre, personnage énigmatique, est là, pour rappeler avec tendresse et discrétion que « le poids de ces alliances ne se mesure pas au poids du métal, mais au poids de l'homme, de chacun de vous et de vous deux ensemble. Ah ! Le poids de l'homme, la densité de l'homme ! ».
Puis, avec Anna et Stéphane, on entre dans un tableau plus sombre : la boutique de l'orfèvre n'est plus le lieu de la joie de l'engagement mais celui du recueil des pleurs de l'épouse désespérée, qui se demande si l'amour doit être un compromis et fait ce douloureux constat : « Notre vie s'est changée en une pénible existence à deux, nous avons de moins en moins de place, l'un en l'autre. Il ne nous reste que la somme des devoirs, conventionnelle et instable. » « L'aventure » seule ne suffit pas, le mariage est un savant mélange de plénitude et de renoncement, d'insouciance et de rigueur. A Anna, qui cherche l’enivrement qui lui manque auprès d'inconnus de la rue, Adam dit : « L'amour n'est pas une passade. Il a le goût de tout l'être humain, son poids propre et le poids de son destin. Il ne peut pas être un moment. L'éternité passe par lui, il est à la dimension de Dieu, car Dieu seul est éternité. »
Saint Jean-Paul II nous invite à considérer combien, au cœur du mariage, résonne fort la parole de l’Évangile : « Si le grain tombé en terre ne meurt, il reste seul mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. » (Jean, chap. 12, v. 24), en particulier par ces paroles d'Adam : « Anna, comment te prouver qu'au-delà de toutes ces amours qui remplissent notre vie, il y a l'Amour ? L’Époux passe par cette rue et par toutes les rues. Comment te prouver que tu es la bien-aimée ? (…) Aimer, c'est donner la vie au-delà de la mort.. »
Enfin, par Monique et Christophe, quelques années plus tard, nous saisissons combien la qualité de notre amour pourra animer, en positif ou en négatif, la vie et l'engagement de nos enfants. La question de la durée de l'amour, si actuelle, torture la jeune Monique : « Chéri, ne faisons-nous pas fausse route ? Notre amour pourra-t-il durer ? (…) Je t'aime en ce moment, mais après ? Qu'y aura-t-il après ? » La réponse de son fiancé est encore plus actuelle : « L'amour est un défi que Dieu nous lance constamment, peut-être pour que nous, nous défiions le destin. »
Ainsi, méditons cette pièce qui n'a pas pour vocation de répondre à toutes les questions concernant le mariage ou d'expliquer les échecs conjugaux, ni de donner une recette magique pour faire de son couple un modèle de sainteté. Non. Elle nous place au seuil du mystère et en rappelle la beauté :
« Créer le reflet de l'Existence absolue et de l'Amour est une œuvre grandiose ! Mais nous vivons sans le savoir. »
Vous pouvez vous procurer le texte intégral ici.
Certains disent le mariage c'est avoir à deux des problèmes qu'on aurait pas eu seul...mais c'est surtout relever des défis ensemble main dans la main :)