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Photo du rédacteurPaloma D

Sainte Marthe de Béthanie

On la connait tous. Mais éternellement associée à sa sœur Marie, on oublie trop qui elle était. Elle était là, quand Il parlait du Royaume des Cieux. Elle était là, quand Il guérissait les âmes. Elle était là, dans tous ces moments qu’on ne raconte pas mais où leur amitié se construisait. Une amitié telle que lorsque son propre frère vient à décéder, pas une seconde elle hésite, elle sait qu’il est Dieu et maitre de la Vie comme de la mort.


Il est toujours intéressant de revenir sur ces personnes que l’on connait presque trop, à qui l’on ne pense même plus, qui font presque partie du « paysage » spirituel de la communion des Saints. Mise à l’ombre parce qu’elle n’avait pas « la meilleure part », pourtant elle était là, elle faisait partie des élus qui avaient l’amitié du Christ. Cette femme à chercher, c’est sainte Marthe.

Béthanie

Marthe grandit à Béthanie, avec son frère et sa sœur. Ils s’aiment, frères et sœurs de sang et de cœur, et ne se quitteront pas. Sans doute, comme toutes les jeunes filles juives, elle connait les Ecritures, elle respecte les rites, elle attend la venue du Messie sauveur d’Israël. Peut être développe-t-elle un caractère simple, pragmatique, confiant dans son avenir. Elle fait ce qu’elle a à faire, ce qu’elle doit, elle ne craint pas l’humilité des petites taches du quotidien. Sans doute ne comprend-elle pas toujours sa sœur Marie, plus passionnée, plus rêveuse, plus entière, plus sensible. Elle ne la comprend pas, mais elle l’aime. Rien ne pourra jamais séparer cette fratrie. Mais Marthe, elle, est moins démonstrative. Elle garde en son cœur, ce qu’elle pense, ce qu’elle ressent, ce qu’elle aime.

S’est-elle mariée ? en a-t-elle eu le temps ? C’était son destin de femme juive, engendrer la vie pour faire vivre le peuple élu. Mais un évènement devait changer sa vie.


Ecoute...

Au village, au cours de ses journée, un murmure, une rumeur a fait son chemin. Sans doute au lavoir, au puit, à la synagogue chacun évoquait cette rumeur, ce bruit que tous ont entendu. Un homme de Galilée fait parler de lui. On dit que c’est un prophète. On dit que c’est un saint. On dit qu’il est beau, qu’il est charismatique, qu’il donne envie de le suivre. Mais surtout, on parle de ce qu’il dit.


Quand Il est là, on s’assoit. On écoute.

« L’air est bleu.

Tout se tait… Je dirai le royaume de Dieu.

Et comment on le perd, comment on s’en rend digne,

L’ivraie et le froment, le sarment et la vigne…

Ecoute…

« Je dirai le grain de sénevé,

Le trésor enfoui, le diamant trouvé…

Ecoute…

« … le danger des regards en arrière,

Les mots qu’il faut choisir pour former la prière,

Tout le troupeau quitté pour un agneau perdu…

Ecoute…

« …le retour du Maitre inattendu,

Le grand chemin moins bon que la petite route,

Et je te parlerai de mon Père.

Ecoute ! »


Bientôt la rumeur se précise. Il va passer par Béthanie ! Il va même y demeurer quelques temps… Marie danse de joie et loue le Seigneur, Lazare part en avance pour reconnaitre Sa route, Marthe, elle, pense à ce qui est nécessaire. Sa maison est toujours entretenue, sa porte toujours ouverte au voyageur, sa table accueillante pour tous. Aussi elle ne craint pas de bousculer son quotidien pour recevoir ce Prophète dont tout le monde parle, et propose sa maison. Elle sait bien que c’est elle qui devra tout faire, Marie est trop rêveuse ! Elle le sait, mais depuis longtemps elle s'est consacrée au service.



"La meilleure part"

Luc, qui recueillit les confidences de la Vierge Marie, raconte cette rencontre : « chemin faisant, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut. Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiplies occasions du service. Elle intervint et dit « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. » Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. » (Lc, X, 38-42)

Trop souvent on a considéré que si Marie avait pris la meilleure part, c’est que Marthe a pris la plus mauvaise. Rien n’est plus faux. Marie déjà savait qu’elle n’aimerait nul autre que Jésus, qu’elle ne resterait pas à Béthanie, qu’elle Le suivrait sur sa route. Mais Marthe, elle, a choisi l’ombre. La discrétion. Des humbles mais nécessaires taches du quotidien, elle fait des trésors offerts à Dieu. Le Christ a voulu se faire homme, il a voulu embrasser la condition humaine, dans tous ses aspects. Lui aussi a voulu connaitre la faim, la soif, la fatigue et l’amitié humaine. Marie nourrit la soif des âmes, Marthe pense à la faim du corps. Si la part de Marie est meilleure parce que moins évidente et plus céleste, celle de Marthe est indispensable, parce que plus humble et plus terre à terre.

On ne sait ce que se sont dit, lors des veillées, Jésus, Lazare, Marie et Marthe. On ne sait combien de temps, combien de fois Jésus est passé à Béthanie chez ses amis. Mais ce qu’on sait, c’est qu’ils sont devenus amis. Jésus aimait Marthe, Jésus aimait Lazare, on le sait. Par eux Il veut remplir Sa mission.

"Celui que tu aimes est malade"

C’est Jean, un autre intime de Jésus, qui raconte l’épisode fameux de la résurrection du frère de Marthe. De quoi souffrait il ? On ne le précise pas. Peut-être d’un de ces maux dont on a oublié qu’il s’abattait sur tous et chacun, qu’il rappelait que la vie est un prêt de Dieu, un court passage dont il nous appartient d’en faire un chemin de foi. « Seigneur, celui que tu aimes est malade. » (Jn, XI, 3) C’est le message que Jésus reçoit sur sa route.

« Celui que tu aimes », Lazare est un ami proche de Jésus, un intime même. Les évangélistes ne le précisent, mais la maison de Béthanie a dû accueillir le Seigneur plus d’une fois lors de ses voyages. Idéalement placé au sud de Jérusalem, le village de Marthe était connu des disciples. Sans doute, restée chez elle pour tenir la maison lorsque Marie était sur les routes à la suite du Seigneur, devait elle méditer les mots de son Ami, en pétrissant son pain, en puisant son eau, en nettoyant sa maison.

« Celui que tu aimes est malade ». Déjà Jésus l’annonce : le mal qui s’est abattu sur son ami n’est pas un hasard, par ce mal un plus grand bien doit sortir, « elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. » Il sait déjà ce qui va se passer. Mais pour autant cette souffrance de ses amis, L’atteint. « Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare. » (Jn, XI, 5-6)


Lazare doit mourir

Jésus sait que Lazare doit mourir. Il attend deux jours pour se mettre en route vers Béthanie. « A son arrivée, Jésus trouva Lazare au tombeau depuis quatre jours déjà ». (Jn, XI, 17) Jésus sait tout. Il sait que la vie terrestre de Lazare n’est pas terminée. Mais il souffre avec ses amis.

A Béthanie, Lazare était apprécié. Tous pleurent avec les deux sœurs. Marie pleure, elle vide ses eaux du cœur dont elle est toujours généreuse. Marthe, elle, pleure aussi. Elle est moins démonstrative. Mais elle pleure ce frère qu’elle aimait tant, ce roc sur lequel elle s’est tant appuyée.

Comme toujours, la rumeur précède les pas de Jésus. Et lorsqu’elle apprend sa venue, Marthe laisse Marie qui ne veut pas quitter sa maison, et se précipite pour aller à la rencontre de son Ami. Elle croit en Lui, elle sait qu’Il est le Messie, le Fils de Dieu, que rien ne Lui est impossible. Sur la route du retour, les deux amis parlent. Marthe réitère sa foi en Jésus. « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant encore, je le sais, tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. » (Jn, XI, 23)

Et Jésus sourit. Il connait le cœur de Marthe, Il sait qu’elle a la force d’âme de son frère. « Moi Je suis la Résurrection et la Vie. Celui qui croit en Moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en Moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » Marthe regarde Celui qui chemine à ses côtés. Son sang ne fait qu’un tour. « Oui, Seigneur, je le crois : Tu es le Christ, le Fils de Dieu, Tu es celui qui vient dans le monde. » (Jn, XI, 27)


Le miracle

Ils arrivent à Béthanie. Marthe vient trouver sa sœur, et lui annonce avec douceur l’arrivée de Jésus. Alors avec précipitation, Marie se lève, essuie son visage baigné de larmes et se précipite vers Lui. Avec émotion elle se jette aux pieds de Jésus et pleure : « Seigneur, si Tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ».

Jésus sait ce qui sera. Mais Il pleure avec ceux qui pleurent. « Le Seigneur Dieu essuiera les larmes sur tous les visages » disait Isaïe. Beaucoup de gens sont présents et accompagnent Marthe, Marie et le Christ au tombeau de Lazare. Et face à tous, face à ceux à ses détracteurs, face à ceux qui croient en Lui, Il réalise le miracle. Il appelle son ami. Lazare se lève, et enrobé encore de son linceul, il sort de son tombeau.


Sans doute Jésus est Il resté encore quelque temps à Béthanie. Au cours d’un grand repas chez Marthe, alors qu’elle reçoit et sert tous, elle voit sa sœur Marie répandre un parfum précieux sur les pieds de Jésus, ces pieds qui foulent depuis trois ans les chemins de Palestine, et les nettoie. Marthe ne comprend pas toujours les instincts de sa sœur. Mais elle a confiance dans la grandeur de son cœur, et accepte cet acte qui parait contraire à tout esprit pragmatique.

Jésus fait une entrée triomphale dans Jérusalem, puis revient à Béthanie. Au cours d’un repas qui changera le monde, Il prononce des mots que tous ne comprennent pas. Marthe ne sait pas que bientôt le Christ va mourir.


Pâques

Au petit matin, l’air porte une certaine douleur. Marthe s’est levée tôt comme chaque jour. Elle s’active aux taches de la maison. Ce soir le sabbat va commencer. Marie n’est pas là, sans doute est elle avec les disciples ou auprès de la mère de Jésus. Mais ce matin, une angoisse a saisi le cœur de Marthe. Elle entend des rumeurs confuses venir de la grande Jérusalem, qui n’est qu’à quelques kilomètres. Bientôt on lui apprend l’impensable. Le Rabbi, le Prophète dont tout le monde parlait a été arrêté et doit être jugé aujourd’hui. Jésus? Ils ont arrêté Jésus?? Marthe n’ignore pas ceux que Jésus agace, elle n’ignore pas que certains le haïssent au point de souhaiter sa mort. Mais peut on tuer le Fils de Dieu ?


Marthe n’a jamais rejeté son devoir quotidien. Depuis que sa mère lui a appris, elle a toujours choisi de servir d’abord, de prier par le travail et les corvées. Mais à mesure que le soleil monte dans le ciel, son cœur est lourd. Celui qui a tant soulagé les âmes, elle le sent, aujourd’hui souffre. Alors Marthe laisse tout, et prie. Elle ne sait pas, mais elle a mal. A la troisième heure de l’après-midi, un grondement soudain se fait entendre, la terre tremble, le ciel se remplit de ténèbres, comme si Dieu lui-même laissait exploser sa douleur. Puis plus rien. Le silence. Même les cigales semblent recueillies. Marthe a compris. Elle laisse couler ses larmes, et se recueille…


Noli me tangere

Cela fait plusieurs jours que Marie n’est pas revenue. Marthe continue ses services, lorsqu’elle voit surgir devant sa porte sa sœur, qui ne lui avait jamais tant manquée. Et avant même qu’elle n’ait pu se précipiter dans ses bras, Marie s’exclame, crie, pleure, rit, et lui raconte ce qu’elle a vu. Elle a vu un Homme resplendissant de lumière, dont les mains et le côté étaient transpercés. Elle a vu le Christ vivant, quelques jours après L’avoir vu mort.


Pour certains auteurs, Marthe était même avec Marie lors de cette Pâques exceptionnelle. A peine quelques jours plus tard, c’est à Béthanie que le Christ ressuscité devait livrer ses derniers mots aux disciples, avant de s’élever vers le ciel. Sans doute Marthe était-elle là.


Allez enseignez toutes les nations

Marthe et Marie ne resteront pas à Béthanie. Avec le frère Lazare, elles quittent tout, et s’en vont par les routes raconter à leur tour Celui qu’ils ont connu, Celui qu’ils ont aimé, et le message qu’Il portait.

Le reste de la vie de Marthe se confond la légende. On dit qu’excédés par la foi joyeuse et l’audace évangélique de Marthe, Marie et Lazare, les juifs les auraient abandonnés en pleine mer sur une barque sans rame. Ils ont prié, se rappelant à Qui ils devaient confier la barre. La barque s’est dirigée vers une côte lointaine, une côte qui leur a rappelé la Judée, avec ses oliviers, ses senteurs et ses cigales. L’endroit où la barque aurait accosté a gardé le nom des Saintes Maries-de-la-Mer.


Evangéliser la Provence

Après s’être embrassé longtemps, Marthe, Marie et Lazare se sont séparés. Lazare est resté sur la côte, dans une grande ville marchande jadis fondée par les Phocéens. Il est devenu le premier évêque de ce qui deviendra Marseille. Marie a marché longtemps, avant de trouver dans les collines une grotte dans laquelle elle s’est isolée et a vécu jusqu’à plus de cinquante ans, en tête à tête avec Celui qu’elle avait choisi pour époux depuis le premier jour. Son tombeau a suscité des milliers de pèlerinages.

Quant à Marthe, celle qui avait été un peu leur « maman » à tous, qui avait subvenu aux besoins, s’était occupé de la maison, avait accepté la seconde place, plus humble, plus cachée, plus serviable, elle transcendera la légende en combattant un démon qu’on appelait la Tarasque. Sa présence seule devait encourager les gens à croire en cet Homme de Galilée qui avait sauvé l’humanité.

Pourquoi chercher cette femme ? Parfois on aimerait être de ces grands saints qui passaient des heures en prière, qui méditaient sur le Nom seul de Jésus des nuits entières, qui semblent presque ne pas toucher terre. Mais nous avons chacun notre part. Et pour faire des milles et une miettes de la vie quotidienne autant de perles précieuses, il faut accepter le devoir d’état que Dieu nous a confié. Là où le Christ nous attend. Les humbles mais nécessaires taches de chacun qui feront de nous des témoins du Christ. Marthe a commencé par prendre soin de sa maison, garder sa porte toujours ouverte, et sa table accueillante à tous. Et c’est en entretenant ainsi son foyer, qu’elle a laissé entrer le Christ.





Source : La Bible traduction officielle liturgique, Mame.

La Samaritaine, Edmond Rostand.

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