ou petit questionnement sur l’évangile de la Présentation de Jésus au temple
L’autre jour, venue aux urgences pour mon fils, je me mets en quête de la machine à café de l’hôpital, dans le but suprême de me restaurer après nos vives émotions et de prendre quelques forces pour la suite. Dans les couloirs des urgences, je croise, à demi allongés sur des brancards de fortunes, deux vieilles dames, l’une le regard dans le vide, l’autre tricotant un je-ne-sais-quoi, et un vieux monsieur, endormi. Dans la blancheur de leurs blouses, ils me semblent bien petits, bien faibles… Qui croirait qu’ils ont eu une vie ? Qu’ils ont connu l’énergie de l’enfance, la vigueur de l’adolescence, expérimenté la force, pris du plaisir, eu des émotions, fait des expériences, que sais-je ? Ils sont là, semblables en de nombreux points à mes propres enfants encore tout petits : dépendants, fragiles, innocents.
Mon petit vélo se met à tourner : quoi de plus insignifiant qu’un vieillard ? Quelqu’un qui n’est utile à personne ? Quelqu’un qui peut être repoussant ?
« La poussière de tant de routes parcourues a recouvert ses cheveux… »
Hermann Hesse
La vieillesse et la sagesse, deux sœurs
Si Dieu a choisi un vieillard, Syméon, comme protagoniste de la Présentation au Temple, ce n’est pas sans raison. C’est pour les kilomètres qu’il a parcourus durant son existence. C’est pour sa foi en l’éternité. En somme, c’est pour sa sagesse. Car à l’aube de la mort, que fait un vieillard à part sourire ou méditer lorsqu’on lui fait part de nos problèmes ? Avez-vous déjà remarqué cette manière qu’ont les personnes âgées de plisser les yeux et de regarder l’horizon en silence, opinant au long discours que nous venons de prononcer, exposant en trois parties la liste non exhaustive de tous nos soucis ?
Syméon, ce n’est pas le vieux légume qui se traîne. C’est l’homme de foi par excellence, celui qui a cru et a vu. L’inverse, finalement, de ce que fera Saint Thomas quelques années plus tard, demandant à voir par lui-même les plaies du Christ afin de croire. Non, là, rien d’un constat ou d’une vérification. Ce que Syméon tient dans ses bras, c’est le Sauveur, point. Rien de moins que le Salut du monde. Et il ne le remet pas en cause. Parce qu’il est sage, et qu'il a la foi.
Comment un vieillard, qui pourrait réclamer les honneurs, demander le respect, en vient à supplier Dieu de se retirer en humble serviteur, calmement ? N’est-ce pas la vraie sagesse ? Non pas un trône royal ou une place de choix, mais l’intelligence de s’en aller lorsque le temps est venu ? Je pense que la sagesse, la vieillesse et le temps sont intimement liés. C’est parce qu’il n’a pas peur de la mort que Syméon reconnaît le Sauveur. Au contraire, il l’attend. Chanceux celui qui patiente, sans guetter, qui veille, sans se crisper, et qui regarde en face ce qu’il ne considère être qu’un passage vers le ciel.
Le vieux laideron acariâtre versus la bonne-maman aux confitures sucrées
Finalement, Syméon incarne « le vieux » que nous aimerions tous être.
"Les cheveux blancs sont une couronne d'honneur; C'est dans le chemin de la justice qu'on la trouve."
Proverbes 16:31
Pourquoi donc vouloir calfeutrer ces cheveux de neige et ces rides qui sont autant de sillons parcourus ? Quelle plus belle grand-mère que celle qui assume ces petits signes, qui embrasse le temps qui passe, et dont l’énergie se renouvelle puisqu’elle accepte d’offrir à Dieu le vieillissement de son corps ?
« Dis aux hommes âgés d'être maîtres d'eux-mêmes, respectables, réfléchis, pleins de force dans la foi, l'amour et la persévérance. Qu'il en soit de même des femmes âgées : qu'elles aient un comportement digne de Dieu ; qu'elles ne soient pas médisantes ni adonnées à la boisson. Qu'elles s'attachent plutôt à enseigner le bien »
Saint Paul à Tite, 2 :2
Les vieux ne sont pas délaissés par Dieu. Au contraire, il semble que plus l’on avance en âge, plus Dieu est exigeant avec nous. Plus l’on fait sa volonté, plus il prolonge nos jours. Il ne dépend que de nous de bien vieillir. Entraînons-nous à la vertu : notre vieillesse sera belle. N’essayons pas de changer, et plus les jours passeront, plus nous serons d’éternels insatisfaits qui attendent que la vie s’occupe d’eux « comme il se doit ».
Ce que nous sommes aujourd'hui nous prépare à ce que nous serons demain. Je voudrais dire : prions. Prions pour être des vieux et des vieilles presque saints. Des vieux et des vieilles qui attendent la mort, patiemment, sans sourciller, n’en ont pas peur, et l’aiment pour la joie qu’elle leur procurera de retrouver leur époux, leur épouse, mais surtout leur Dieu.
« Vous suivrez entièrement la voie que l'Éternel, votre Dieu, vous a prescrite, afin que vous viviez et que vous soyez heureux, afin que vous prolongiez vos jours dans le pays dont vous aurez la possession. »
Deutéronomme 5:33
Tous des enfants du ciel
Aujourd’hui, je nous invite à nous poser la question : comment considérons-nous nos Anciens ? Comment nous serions- nous comportés, ce jour-là, dans le temple, à la vue de Syméon en extase devant le Petit Jésus, que nul ne supposait être le Sauveur du monde ? Nous lui aurions peut-être ri au nez ; nous l’aurions peut-être méprisé d’attendre, si longtemps. Pourtant, il est le trait d’union de deux ères : la première, sans le Christ ; la seconde, celle d’une humanité sauvée. La vie et la mort, dans tout ce qu’elles ont de similaire, se côtoient dans cet événement charnière de la Présentation de Jésus. Quoi de plus semblables qu’un bébé et un vieillard, mais aussi quoi de plus différent ? Les deux ont besoin de soins, les deux dépendent d’autres qui les nourrissent, les deux se laissent faire. Mais l’un débute la grande aventure de la vie tandis que l’autre l’achève.
Terminons donc avec ce Cantique si doux, que je nous souhaite de murmurer au soir de notre vie, avant le grand départ. Saint François l’appelait « notre sœur la mort ». Faisons nôtre ces mots, afin de nous focaliser sur l’après, sur ce qui sera, nous y croyons, l’éternité. Là-haut, « les jeunes filles danseront de joie, jeunes et vieux se réjouiront ensemble. Je changerai leur deuil en fête, je les consolerai. Après la tristesse, ce sera la joie. » Jérémie, 31, 13.
« Maintenant, Seigneur,
tu laisses ton serviteur s’en aller en paix,
selon ta parole.
Car mes yeux ont vu ton salut,
Salut que tu as préparé devant tous les peuples,
Lumière pour éclairer les nations,
et gloire d’Israël, ton peuple"
Luc, 2 : 29 - 32
Un grand merci à Anne Villedey pour ses illustrations magnifiques ! Rendez-vous sur son site internet https://www.avbleuetor.com/ pour contempler ses merveilles ou sur instagram @bleuetor !
Agnès T.
C'est très juste et très joli : "Plus l’on fait sa volonté, plus il prolonge nos jours. Il ne dépend que de nous de bien vieillir." beaucoup se refusent à vieillir et ne se souviennent de Dieu qu'aux portes de la mort, d'autres au contraire prient le chapelet comme au premier jour.